Un mythe aux effets néfastes
Au nombre des questions qui ont été soulevées au sujet du rapport du Groupe chargé de l’examen de la législation en matière de radiodiffusion et de télécommunications rendu public la semaine dernière, il y a celle qui concerne la possibilité d’appliquer les lois canadiennes à des activités qui se déroulent sur Internet.
Le rapport intitulé L’avenir des communications au Canada : Le temps d’agir recommande que les lois sur les communications soient élaborées selon un modèle qui reflète l’univers virtuel sans frontière d’aujourd’hui et de demain. Toutes les parties prenantes nationales et étrangères offrant des services de contenu audiovisuel aux Canadiens, que ce soit en ligne ou par les voies classiques, qu’elles aient ou non un établissement au pays, doivent être régies par les mêmes règles. Un principe si évident que l’on s’étonne qu’il ait fallu tant de temps pour en reconnaître le bien-fondé.
L’approche recommandée dans le rapport Le temps d’agir est neutre au regard des technologies et des plateformes. Les lois doivent énoncer les règles du jeu aussi bien pour les activités menées sur Internet que celles qui se déroulent dans les canaux traditionnels. Elles établissent pour tous des obligations équivalentes en vue d’assurer la mise en oeuvre des exigences de la politique culturelle du Canada. Cela vise toutes les entreprises d’acheminement de contenus qui mènent des activités analogues. En somme, il s’agit simplement de mettre à jour les lois afin de refléter le fait que, désormais, de plus en plus d’activités de diffusion de contenus culturels et médiatiques passent par Internet.
Mais depuis l’avènement d’Internet, on entend régulièrement dire que les lois d’un État ne peuvent s’appliquer sur Internet. Une affirmation pourtant démentie tous les jours par les faits. Vendre des voyages ou des valeurs mobilières, réaliser des opérations bancaires, voilà des activités qui sont toutes réglementées, qu’elles soient effectuées sur Internet ou hors ligne. Les lois s’appliquent tous les jours à ces activités et à une kyrielle d’autres qui se déroulent en tout ou en partie sur Internet.
Les lois s’appliquent à Internet
D’ailleurs, les entreprises dirigées par des gestionnaires compétents savent qu’il est nécessaire de respecter les lois des pays dans lesquels elles mènent des activités. Les marchés financiers montrent souvent une grande allergie aux entreprises qui se trouvent en situation de non-conformité avec les lois des pays dans lesquels elles exercent des activités.
En 2017, dans deux affaires différentes, la Cour suprême du Canada a déterminé que les lois canadiennes s’appliquent aux activités prenant place sur Internet, et cela, que les entreprises soient ou non établies au Canada. Elle a écarté les prétentions de ceux qui s’opposent à l’application des lois régissant les activités réglementées hors ligne aussitôt qu’elles basculent dans l’environnement en ligne. Un démenti cinglant qui aurait dû mettre fin aux prétentions de ceux qui continuent de dire que les lois étatiques ne s’appliquent pas sur Internet.
Les règles émanant des lois nationales s’appliquent aux activités qui se déroulent sur Internet. Le fait que jusqu’ici les activités de transmission d’émissions de radio ou de télévision effectuées par Internet échappent aux règles énoncées dans la Loi sur la radiodiffusion découle d’une décision du CRTC qui a choisi, en 1999, de ne pas appliquer les règles prévues dans la loi aux activités se déroulant sur Internet. Une décision à l’époque justifiée par la croyance que la transmission des contenus audiovisuels sur Internet n’avait pas de conséquence sur la réalisation des objectifs des politiques culturelles canadiennes. On constate depuis longtemps les conséquences désastreuses de cette décision.
Car il y a toujours des règles. Lorsqu’un État décide de ne pas appliquer ses lois à l’égard des activités sur Internet, il accepte que ce soit d’autres qui édictent les règles du jeu. Les pratiques contractuelles des entreprises qui dominent cet environnement connecté deviennent les règles qui régissent les comportements, définissent nos droits et nos obligations. Pour un État, choisir de ne pas appliquer ses lois aux activités se déroulant sur Internet, c’est s’en remettre aux décisions des entreprises qui dominent Internet. C’est laisser les entreprises dominantes réglementer en fonction de leurs propres intérêts. Une pareille approche est à l’opposé d’une politique favorisant un Internet « ouvert » à l’innovation.
Le rapport Le temps d’agir est fondé sur le postulat que les lois régissant les activités médiatiques peuvent et doivent s’appliquer aussi bien à ce qui se déroule en ligne qu’à ce qui se déroule dans les environnements traditionnels. Que ce soit sur le plan juridique ou sur le plan pratique, la prétendue inapplicabilité des lois aux activités ayant lieu sur Internet est un mythe qui a eu des effets néfastes. Un mythe qui a trop souvent servi à justifier les politiques de laisser-faire des autorités publiques. Il serait dommage qu’il entrave une fois de plus la mise à niveau des lois destinées à assurer notre souveraineté culturelle.
L’auteur était membre du Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications.