Mon amour de jeunesse

C’est peut-être le privilège de la littérature que de s’élever au-dessus de tout soupçon. Au nom du rêve, on échappe à toute morale. C’est l’apanage du milieu intellectuel et artistique d’aspirer à départager les pulsions de la raison, la perversité du rêve.
Je suppose que toute leur vie ces adolescentes victimes d’un Matzneff, cet écrivain semi-connu dont la célébrité est devenue aussi contagieuse qu’un coronavirus chinois, restent marquées.
Vous l’aviez déjà oublié, le pédophile chauve, hein ? Pas moi. D’ailleurs, il était pédophile à Manille et éphébophile à Paris. Nuance. Dans son livre Les moins de 16 ans, il spécifie : « Ce qui me captive, c’est moins un sexe déterminé que l’extrême jeunesse, celle qui s’étend de la dixième à la seizième année », cette période qu’il décrit comme « le véritable troisième sexe »…
J’ai lu Le consentement de Vanessa Springora en résistant au début, puis par petites doses entrecoupées de nausées et de poussées d’anxiété. Mon corps tentait d’éviter la machette des mots. Je laissais retomber ma tablette (le livre arrive ici le 5 février) et j’allais m’aérer les souvenirs. L’éditrice parisienne à l’origine de la chute de Gabriel Matzneff lui a offert sa virginité et sa naïveté dès l’âge de 13 ans, alors qu’il en avait 50.
On en vient à aimer son désir et non plus l’objet de ce désir
Comme elle, mon premier amour, mes premiers émois, je les ai connus dans les bras d’un prédateur sexuel. L’expression n’existait pas en 1978. Il était prof au cégep, j’avais 15 ans (j’en ai déjà parlé ici et ailleurs), il en avait 45, et l’idylle a duré jusqu’à la saine révolte de mes 20 ans. « Le rêve de tous les hommes », m’a déjà confié un ex.
Le livre de Springora ne m’a rien révélé — j’aurais pu en écrire plusieurs passages —, mais il a réveillé de vieilles émotions intactes. Une partie souillée par tant d’hommes qui ont pris le relais par la suite. Les salauds ont parfois l’air de bons gars. On ne se méfierait jamais d’eux. Mon Matzneff a été condamné pour pédophilie, je l’ai appris il y a deux ans. Douze mois à l’ombre, c’est peu en regard d’une vie à bousiller celle des autres. Et il s’en trouvera encore pour leur chercher des excuses, pointant vers leur enfance, leur éducation, leur passé. Comme si nous, les proies, n’avions pas eu de traumatismes ou d’enfance. Et en réalité, ils nous en ont chapardé une partie. Je compte plusieurs amies proches dont toute la vie sentimentale porte le sceau toxique de ces agresseurs. Le lien de confiance est brisé.
Au voleur !
Voleurs d’âmes, voleurs d’innocences, voleurs d’espoirs. J’ai une photo de mon Matzneff dans un coin droit de mon écran. Pour ne pas oublier de terminer le manuscrit qui raconte notre relation toxique. Comme Vanessa Springora, j’ai tout conservé. Et les littéraires écrivent, c’est leur moindre défaut. J’ai trimballé ma caisse de preuves incriminantes durant 40 ans. J’ai passé un été à tout relire, puis à écrire. Il le fallait. J’étais devenue, bien malgré moi, le symptôme d’une maladie. Une maladie mentale entérinée par toute une société de fantasmes et de pubs.
Sur mon écran, j’ai aussi une photo de moi à 15 ans ; l’air d’une gamine. Personne n’aurait pu me raisonner. J’étais a-mou-reu-se. Et je savais tout. Parce que c’est le propre de la jeunesse. Plus on vieillit et plus on déconstruit, moins on « sait » tout en s’appuyant sur le cumul des ans, des expériences heureuses et pas. On ne sait plus rien, comme Gabin.
Et comme Vanessa Springora, j’étais séduite par le personnage haut perché, flattée d’être l’élue, convaincue de l’unicité de notre histoire, éperdument amoureuse du mythe entretenu avec soin par David Hamilton, Nabokov, Polanski. Tu vois, ma Lolita ? Nous sommes nombreux à vous célébrer. Je sais très bien que l’époque pratiquait un laxisme bon teint, et même si Denise Bombardier s’est insurgée sur le plateau de Pivot en disant que ce serait inenvisageable dans son pays, rien n’est plus faux. C’était non seulement envisagé, mais allègrement consommé.
Et j’étais « consentante ». Comme Springora, toute ma vie j’ai pensé que cela empêchait l’incrimination. Je désirais de toutes les fibres de mon corps être une femme, me montrer à la hauteur parce que sélectionnée avec soin dans le harem du cégep. J’étais plus vulnérable et plus jeune, plus fantasque et plus remarquée. Comme me l’a souligné un homme récemment : « Tu étais provocante, quand même ! » Oui, c’est vrai. Je m’habillais en enfant de choeur avec un chapelet en guise de collier pour assister à mes cours de philo. Le curé défroqué a craqué. J’ai péché, je m’en confesse. Que vous soyez vêtue pour l’orgie ou pour la messe, rien n’y fait, vous êtes coupable d’attirer l’attention.
PerversPépères.com
Certains passages du livre de Springora font sourciller — G. lui apprend le Je vous salue, Marie entre deux caresses —, mais tout dans cette histoire renvoie à l’abus de pouvoir. « Il me fait la lecture du Nouveau Testament, vérifie que j’ai bien perçu le sens du message du Christ dans chacune des paraboles. » L’Église est faite pour les pécheurs, lui apprend-il.
En dehors des artistes, il n’y a guère que chez les prêtres qu’on ait assisté à une telle impunité. La littérature excuse-t-elle tout ?
Flattée d’être hissée à la hauteur d’héroïne de roman, assoiffée d’amour, un père aux abonnés absents, la jeune fille ne peut se déprendre facilement des griffes du charmant manipulateur. D’autant que même les amis célèbres de Matzneff, tel Cioran, s’en mêlent en lui rappelant sa chance et que « le mensonge est littérature ». Les pervers narcissiques à la sauce DSK, Weinstein, Rozon et le réalisateur Christophe Ruggia inculpé récemment font tous partie d’une sombre confrérie. « Une personne pour qui l’autre n’existe pas », explique Springora.
Une fois nos enfants parvenus à l’âge que nous avions alors, le déclic se fait souvent, un voile tombe enfin. J’observe les amies de mon ado de 16 ans et je ne peux m’empêcher de vouloir les protéger, instinctivement. Contre la société qui les objectifie, contre des chacals qui les convoitent, contre elles-mêmes, surtout.
Elle n’est pas si loin, l’époque où je voulais vivre un conte de fées taillé sur mesure pour moi. Je souhaitais m’affirmer, surtout dans l’amour, l’intensité, la marginalité. J’ignorais un détail : notre histoire s’imprime à jamais sur le canevas de nos vies. On peut poursuivre, se réinventer, tenter d’oublier, mais rien ne s’efface jamais vraiment. Le vrai crime, il est là, inscrit dans l’éternité de la littérature et de la chair.
Rigolé en visionnant le film Rebelles d’Allan Mauduit, avec Cécile de France, Audrey Lamy et Yolande Moreau dans un trio infernal de rockeuses qui mettent les mecs en boîte (au propre et au figuré). Une comédie noire qui procure un sentiment d’affranchissement et offre une vitrine magnifique aux trois comédiennes qui s’éclatent magistralement, au second degré. Juste pour ça, ça vaut le coup de se dérider un peu sur fond d’agression sexuelle et de malfrat à la petite semaine. Conçu pour elle, mais assez fort pour lui.
Tombé sur cet article qui parle de l’influence de la pornographie sur les jeunes. Ce chiffre : 80 % des garçons adolescents de 12 à 18 ans regarderaient de la porno quotidiennement, selon une étude mentionnée. Une élève du secondaire s’est demandé pourquoi les garçons demandaient constamment des photos nues aux filles de son âge, une nouvelle norme sociale chez les adolescentes.
Adoré la pièce Les filles et les garçons à La Licorne avec la prestation unique de Marilyn Castonguay. Du théâtre qui vous rentre dedans et remet au goût du jour un sujet à la fois féminin et masculin. Toute la pièce est construite pour nous amener à la dernière phrase. Un bijou d’écriture que ce long monologue où une mère nous raconte son drame, sa vie avec un manipulateur, supposément féministe de gauche, qui tente de la contrôler jusqu’à la fin. À voir.
JOBLOG
Jeu viralDepuis l’apparition du coronavirus chinois, le jeu vidéo Plague Inc est devenu viral, le plus téléchargé en Chine, mais en France aussi. On pense que les utilisateurs exorcisent leur angoisse en provoquant les pandémies virtuelles. À moins qu’ils écoutent Épidémie à TVA. En attendant la psychose sociale, c’est l’épidémie à Sainte-Adèle PQ dans Les pays d’en haut avec la variole qui fait suer le bon docteur Marignon. Un seul épisode de cette « peste » boutonneuse purulente, qui afflige autant Montréal que les Laurentides, suffit à promouvoir l’utilité de certains vaccins. Et il faut suivre l’auteur Gilles Desjardins sur Twitter pour apprendre que même Labatt vendait sa bière comme tonique antivariole en 1885, malgré les efforts des curés Caron de ce monde pour promouvoir la tempérance. Aujourd’hui, on remarque que des pubs de vaccins contre la pneumonie sont diffusées durant l’émission. La saison 6 est déjà en cours d’écriture. En espérant que le curé Caron succombe à la variole en attendant…