L’arrière-garde

Il y a exactement trois ans aujourd’hui, les Québécois étaient sous le choc. À la grande mosquée de Québec, six personnes perdaient la vie et plusieurs étaient blessées, certaines gravement, sous les balles d’Alexandre Bissonnette. Une tragédie qui aurait dû, croyait-on, persuader le gouvernement fédéral de faire le ménage dans le contrôle des armes à feu.

Le gouvernement Trudeau promet maintenant d’y voir. Il prévoit entre autres de bannir les armes d’assaut, de racheter celles acquises légalement et de se pencher sur l’interdiction des armes de poing. Il semble sérieux… cette fois, devrait-on dire, car il l’avait aussi promis en 2015, deux ans avant la tuerie de Québec.

Les libéraux ont fait quelques pas l’an dernier en faisant adopter un projet de loi resserrant entre autres les vérifications de sécurité et en mettant en place un processus de traçabilité des armes vendues. Mais, même si la GRC le demande depuis longtemps, cette loi ne modernise pas la classification du Code criminel qui prévoit trois catégories d’armes à feu (sans restriction, à autorisation restreinte et prohibées). À cause de critères désuets, il y a toujours des armes semi-automatiques en circulation au Canada qui sont sans restriction. On n’y trouve pas non plus de définition légale d’une arme d’assaut. L’expression désigne généralement les armes semi-automatiques d’inspiration militaire.

Maintenant responsable de la mise en oeuvre de l’interdiction promise, le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, ne pourra pas échapper à la révision de la classification. Il est à peu près temps, 30 ans après la tuerie de Polytechnique, 13 ans après celle du collègue Dawson et trois ans après celle de la mosquée de Québec. Les proches des victimes de ces trois tragédies lui ont d’ailleurs écrit en novembre dernier pour lui enjoindre d’agir vite.

Il faudra toutefois que tout le monde y mette du sien, y compris les conservateurs qui sont déjà montés aux barricades. En campagne, ils s’opposaient à toute interdiction, invoquant encore et toujours qu’il fallait plutôt s’attaquer aux gangs et au trafic illégal d’armes et, surtout, protéger les chasseurs, les agriculteurs et les amateurs d’armes respectueux des lois.

On ne chasse pourtant pas le gibier, même le plus gros, avec une arme semi-automatique d’allure militaire ou avec une arme de poing. On ne combat pas non plus la vermine sur sa terre de cette manière. Les conservateurs ne leurrent personne. Ce sont les amateurs d’armes à feu qu’ils défendent, au grand plaisir de leur lobby.

Et ils les mobilisent. En décembre, les troupes d’Andrew Scheer ont lancé une pétition électronique pour exiger que le gouvernement — minoritaire — procède par voie de législation et non de réglementation. Le 17 janvier, ils avaient glané plus de 86 000 signatures. Pour soutenir leur position, ils citent un « sondage » réalisé l’an dernier par le gouvernement et selon lequel la majorité ne souhaite pas qu’on limite l’accès « aux armes à feu et aux armes à feu de style arme d’assaut ».

Sauf que cette consultation bancale a été noyautée et ridiculisée. Les gens pouvaient y répondre aussi souvent qu’ils le voulaient. Un Québécois a même affirmé y avoir répondu 25 000 fois. Les résultats étaient à l’avenant. On affirmait que 93 % des Québécois et 77 % des Canadiens s’opposaient à ce qu’on limite l’accès aux armes d’assaut. Les sondeurs professionnels, eux, ont obtenu un tout autre son de cloche. Selon une enquête d’Angus Reid publiée en mai dernier, 80 % des Québécois seraient au contraire favorables à de telles limites, tout comme 77 % des Canadiens.

Lutter contre le crime n’exige pas d’ignorer les dangers posés par des armes d’assaut conçues uniquement pour tuer rapidement des êtres humains. Il ne faut pas oublier que, de la Norvège à la Nouvelle-Zélande en passant par le Canada, ces armes meurtrières ont fréquemment la faveur des auteurs de carnages inspirés par un extrémisme violent ou un fanatisme religieux, raciste, homophobe, misogyne et j’en passe. Des gens souvent difficiles à détecter dans le cadre de vérifications courantes, car ils n’ont pas d’antécédents judiciaires et passent sous le radar.

C’était le cas des responsables des trois tueries citées plus haut, qui ont profondément traumatisé le Québec. Ces trois hommes ont acheté légalement leurs armes semi-automatiques d’allure militaire. Ils ont pu le faire parce qu’on le permet.

Interdire ces armes ne porte atteinte à aucun droit, c’est en fait un acte de prévention. Rien ne justifie qu’un simple citoyen possède une arme d’assaut, même s’il respecte toutes les lois. Ces armes n’ont pas leur place dans une société qui privilégie la sécurité des collectivités. Si des gens les ont acquises légalement, qu’on les leur rachète, ce que les libéraux envisagent, mais qu’on les retire de la circulation et vite !

Il restera à résoudre la question des armes de poing, qui ont davantage la faveur des criminels. S’y attaquer exigera — sans traîner non plus — une approche à plusieurs volets, mais penser qu’Ottawa peut laisser aux municipalités le soin de les interdire, comme y songe le gouvernement, est une façon bien lâche de se défiler face à un lobby qui a longtemps eu trop de poids.
 



Une version précédente de ce texte, qui indiquait que l’attentat à la mosquée de Québec a eu lieu il y a deux ans (plutôt qu'il y a trois ans), a été corrigée.
 

 

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