Ouf pour l’UOF
Les Franco-Ontariens ont de quoi être fiers. D’abord, parce qu’ils ont fait plier Doug Ford, qui avait voulu tuer dans l’oeuf leur projet d’Université de l’Ontario français (UOF). Ayant enfin obtenu son financement, l’institution accueillera ses 200 premiers étudiants en septembre 2021. Mais les Franco-Ontariens sont aussi dans la position, rarissime, de créer une université à partir d’une page blanche.
Je suis donc allé aux nouvelles pour tâcher de voir de quoi aura l’air cette université du XXIe siècle, qui fait table rase des vieux usages, dont certains remontent au Moyen Âge. « Nos structures seront flexibles et agiles. On ne sera pas pris dans les carcans traditionnels », annonce Jean-Luc Bernard, le directeur, qui compte sur 2000 étudiants d’ici dix ans lorsque l’université s’établira dans son campus permanent.
D’abord, l’UOF n’aura ni faculté, ni département, ni même de disciplines fixes ! L’université offrira au départ quatre « créneaux » maison : « Pluralité humaine », « Environnements urbains », « Économie mondialisée » et « Cultures numériques ».
Concrètement, l’étudiant en « Cultures numériques », par exemple, sera exposé à étudier tout ce qui se fait dans le livre, le cinéma, le jeu vidéo, les médias traditionnels et sociaux, etc. « Un élève pourra se spécialiser, mais l’idée du créneau sera transdisciplinaire », dit Jason Luckerhoff, vice-recteur au développement des programmes et des savoirs et professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Cette approche découle d’une vaste consultation auprès de centaines d’étudiants et professeurs, et de plus de 200 employeurs ontariens. Quelques universités québécoises jouent également un grand rôle dans l’opération. Par exemple, outre Jason Luckerhoff, plusieurs professeurs de l’UQTR ont travaillé à l’évaluation des compétences linguistiques en français, à l’approche pédagogique et à la création de la revue de l’UOF, en plus d’assurer les cadres des programmes de maîtrise et de doctorat.
Comme il n’y aura ni faculté ni département, les professeurs enseigneront dans tous les créneaux selon leur compétence. De plus, ils devront être obligatoirement formés à la « pédagogie de l’enseignement supérieur » (autre grande nouveauté, car les professeurs d’université sont rarement formés en ce sens). Leurs cours devront être non magistraux et les présentations PowerPoint seront spécifiquement exclues. L’expérience sera au coeur de l’enseignement et les stages rémunérés seront intégrés à la pédagogie.
Tous les cours seront « comodaux », c’est-à-dire offerts à la fois en classe et à distance. « Nos cours seront obligatoirement donnés en personne à l’université, mais un étudiant absent pourra le suivre en ligne », dit Jason Luckerhoff, qui explique que l’UOF a profité de l’expérience de l’Université Laval dans ce domaine.
Ce ne sera d’ailleurs pas la seule collaboration avec l’Université Laval. Celle-ci a mis au point le certificat en « pédagogie de l’enseignement supérieur », qui sera un cinquième créneau à part entière de l’UOF et dont les premiers bénéficiaires seront les futurs professeurs de l’UOF, qui devront l’avoir suivi.
Évidemment, la bibliothèque de l’UOF sera virtuelle. « Nos élèves qui voudront un livre papier auront accès aux bibliothèques sur le territoire », dit Jason Luckerhoff, qui codirige Enjeux et société. Cette revue scientifique de l’UOF, qui vient de publier son premier numéro, sera offerte en accès libre — un projet mené avec Vincent Larivière, de l’UQAM.
La dimension communautaire de l’UOF sera très forte puisque son campus abritera deux douzaines d’organismes. Entre autres, TFO, le théâtre français, deux commissions scolaires francophones, le Centre d’arts médiatiques francophones, Alain Ducasse Éducation. Ce « Carrefour francophone du savoir et de l’innovation » permettra aux organismes de profiter des travaux universitaires tout en donnant aux étudiants l’occasion de stages et de travaux.
Contrairement aux deux universités bilingues de la province, Laurentienne et Ottawa, l’UOF sera la première où le français sera obligatoire dans l’enseignement et l’administration. En attendant de développer une filière d’immersion pour les étudiants issus de l’immersion française offerte dans les conseils scolaires anglophones, l’UOF négocie pour ouvrir certains de ses cours aux étudiants des universités de Toronto et de Ryerson — qui seront admis à condition que leur niveau de français soit suffisant.
D’ici peu, l’université créera des filières plus traditionnelles, comme le droit et l’administration, auxquelles elle ajoutera sa couleur très particulière. « Nous recevons chaque semaine des dizaines de demande d’information d’étudiants, de professeurs et d’autres universités », dit Jason Luckerhoff.
À ses yeux, la crise provoquée par le premier ministre Doug Ford aura eu le mérite de donner une grande notoriété à l’UOF, même si ses dirigeants s’en seraient bien passés. « Malgré la surprise, on a vite compris que nous n’étions pas les seuls visés par les coupes annoncées. Ça nous a aidés à la “prendre moins personnel”, et c’est grâce à cela que nous avons pu trouver des solutions sans partisanerie. »