L’étonnant retour des antennes télé
On dirait une adaptation 2020 de la série de films Back to the Future. Vous savez, ces films qui nous projettent dans le passé avec des allers-retours dans le temps présent, mais aussi un regard sur ce qui existait à l’époque, le tout agrémenté d’une tonne de péripéties (merci, Michael J. Fox) ?
Dans ce cas-ci, les développements sont moins excitants, mais les retombées potentielles, elles, sont impressionnantes : oui, les antennes télé sont de retour ! Il ne s’agit pas ici des « oreilles de lapin » qui trônaient à l’époque sur les postes de télévision, mais plutôt des antennes qu’on peut aujourd’hui accrocher à une fenêtre pour capter des signaux de télévision. Les amateurs sont de plus en plus nombreux, ce qui augure mal pour les fournisseurs traditionnels de signaux.
Le plus récent relevé, qui date du début de janvier, établit à 15 % la proportion de Canadiens qui ont dorénavant choisi de capter les signaux de télévision à l’aide d’antennes extérieures, plusieurs en se désabonnant du câble, de la fibre optique et du satellite. Et le taux est encore plus élevé si on isole le Québec : 19 % !
Il n’est plus question ici des antennes métalliques qui trônaient encore sur les toits il y a quelques décennies, et qu’il fallait parfois réorienter manuellement selon la météo : on peut désormais se procurer les nouvelles antennes pour quelques dizaines de dollars au Wal-Mart ou dans d’autres commerces du genre qui proposent ce genre d’appareils. Et le phénomène ira en s’amplifiant s’il faut en croire Duncan Stewart.
Cette année encore, il vient de présenter à Montréal les grandes prévisions TMT (technologies, médias et télécommunications) de la firme Deloitte. Il s’y connaît : il en est le directeur de la recherche pour les secteurs en question et fait figure d’autorité dans le milieu.
S’il faut se fier à ses prédictions, les nouvelles antennes ne seront pas les seules à s’imposer : nous verrons très bientôt plus de robots, plus de vélos électriques, plus de satellites pour améliorer la couverture Internet, plus d’intelligence artificielle dans la vie de tous les jours… « En gros, dit-il, même les nouveaux électroménagers vont finir par répondre à vos commandes, comme baisser la température du four. Et la nouvelle génération de microprocesseurs en cause ne coûte que quelques cents. On ne devrait donc pas s’attendre à une explosion des factures. »
Mais pour la télé, peut-on vraiment croire qu’il est possible de capter des chaînes qui ont migré vers le numérique ? Absolument. Selon la région où on se trouve, on peut encore recevoir ici par antenne le signal de plus d’une vingtaine de stations en HD : toutes les chaînes traditionnelles, plus les chaînes américaines si on n’est pas trop éloigné de la frontière, même à plusieurs dizaines de kilomètres.
Au Canada, les titulaires de la télévision traditionnelle doivent maintenir leur présence en direct s’ils veulent conserver leur licence, en vertu d’une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes rendue en 2014. C’est ce qui permet d’y avoir accès au moyen d’une antenne.
C’est moins évident pour les chaînes spécialisées auxquelles on n’a jamais eu accès autrement que par câble, par fibre optique ou par satellite. Une antenne n’est alors d’aucun secours et il faut en faire son deuil, à moins de passer par Internet et d’en négocier l’accès à la pièce.
C’est notamment le cas pour les chaînes spécialisées en météo, en décoration ou en sport… Mais pour la plupart, il est toujours possible de les capter par Internet, avec abonnement individuel. Idem pour les films et les grandes séries, dont beaucoup sont maintenant offerts par les systèmes de vidéo en continu (streaming), qui se multiplient : Netflix, mais aussi Disney+, Apple TV+, etc., avec du contenu parfois original réservé aux abonnés.
Antenne extérieure, plus vidéo en continu, plus forfait à la pièce selon les chaînes : c’est maintenant la combinaison que choisissent de plus en plus de consommateurs, surtout les plus jeunes, plus ferrés en technologies et moins enclins à regarder la télé traditionnelle.
Le risque de voir les revenus diminuer ne se limitera pas aux fournisseurs de signaux si la tendance au débranchement se poursuit : les chaînes spécialisées sont aussi sur la ligne de feu, elles qui perçoivent automatiquement une redevance par abonné. Moins de clients veut dire moins d’entrées de fonds.
Par contre, les réseaux traditionnels vont y gagner parce que, lorsqu’on regarde la télé en direct, il n’est pas possible de supprimer les messages publicitaires. Il faut vivre avec… et les annonceurs y gagnent.
C’est ce qui explique que, même si le temps passé à regarder la télé devrait baisser de 5 % en 2020, contre toute attente les revenus de publicité, eux, vont grimper de 2 %.
En contrepartie toutefois — et il s’agit d’une autre des prédictions de Deloitte —, ces messages publicitaires vont progressivement s’insérer dans la programmation des systèmes de vidéo en continu, qui se vanteront alors de ne pas augmenter leurs tarifs… moyennant ces pubs. On n’y échappera pas !
Il reste tout de même ce constat qu’on n’aurait pas pu imaginer même récemment : « La persistance surprenante de la télévision terrestre », dixit Deloitte.
La radio, paraît-il, était condamnée. Mais elle vit encore de beaux jours. La télé traditionnelle, disait-on, allait à l’abattoir. Se pourrait-il qu’elle vive elle aussi une sorte de renaissance parce que les gens n’en peuvent plus de payer pour rien ?