La triste fin d’Andrew Scheer

L’annonce du départ d’Andrew Scheer comme chef du Parti conservateur du Canada (PCC) est arrivée plus tôt que prévu. Elle était néanmoins inévitable, sa performance avant, durant et après la dernière campagne électorale ayant été parmi les pires en politique depuis belle lurette. La grogne au sein de sa formation était telle qu’il n’aurait pas pu survivre au vote de confiance prévu en avril prochain, même s’il semblait prêt à tout pour y arriver.

Hélas ! La révélation selon laquelle M. Scheer bénéficiait d’une entente spéciale — son parti payait une partie des droits de scolarité de quatre de ses cinq enfants, qui fréquentent une école privée catholique à Ottawa — fut la goutte qui a fait déborder le vase. Pour les membres du parti qui militaient ouvertement pour le départ de M. Scheer depuis la défaite électorale, la nouvelle a été reçue comme un cadeau de Noël, d’autant que cela allait leur éviter d’avoir à s’engager dans une lutte sans merci pour limoger leur chef. Alors que l’Ontario détient toujours un système scolaire confessionnel, donnant à M. Scheer l’option d’envoyer ses enfants dans une école catholique publique, il avait plutôt choisi une école catholique privée considérée comme étant plus orthodoxe — aux frais des donateurs conservateurs, en plus. Pour un chef en sursis dont la ferveur religieuse était en partie responsable de la défaite électorale, c’était une tare supplémentaire.

Le manque de transparence dont a fait preuve M. Scheer en n’ayant jamais révélé son entente spéciale auprès des membres du parti témoigne d’un style de leadership dépassé. Tout comme sa non-divulgation de sa double citoyenneté canado-américaine jusqu’à la veille des élections et ses demi-vérités sur ses compétences professionnelles dans l’industrie des assurances. « Il y avait une accumulation de mauvaises décisions, prises ou non prises [qui ont mené à] une perte de confiance », a déclaré jeudi le sénateur Claude Carignan en expliquant les raisons du départ de M. Scheer.

Jeudi soir, le caucus conservateur a décidé de permettre à M. Scheer de demeurer chef jusqu’à ce que son remplaçant soit choisi. Toutefois, plusieurs militants digèrent mal le fait que M. Scheer semble vouloir rester en poste afin de toucher aussi longtemps que possible la prime qu’il reçoit en tant que chef de l’opposition officielle. Certains candidats potentiels à la succession de M. Scheer voudraient aussi que ce dernier cède sa place dès maintenant à un chef intérimaire qui s’engagerait à rester neutre durant la course à la direction. Et Dieu sait que cette course suscitera plus d’intérêt que la dernière, tenue en 2017, à un moment où les libéraux du premier ministre Justin Trudeau semblaient indélogeables. Ce n’est plus le cas.

L’ancienne ministre Rona Ambrose, qui a servi comme cheffe intérimaire du parti après le départ de Stephen Harper en 2015, partirait avec une longueur d’avance si elle décidait de se lancer dans la course. M. Trudeau, dit-on en coulisses, craindrait tellement d’affronter Mme Ambrose lors des prochaines élections qu’il serait prêt à lui offrir le poste d’ambassadrice canadienne à Washington, vacant depuis le départ de David MacNaughton en août dernier.

Avant de quitter la Chambre des communes en 2017, Mme Ambrose avait déposé un projet de loi qui aurait obligé les nouveaux juges à suivre une formation en matière d’agressions sexuelles. Ce projet de loi est mort au feuilleton en juin dernier, mais la démarche de Mme Ambrose témoigne de son désir de moderniser son parti et de le rendre plus pertinent pour une nouvelle génération d’électeurs pour qui les enjeux sociaux et environnementaux sont primordiaux. Elle est aussi récemment intervenue sur Twitter pour appuyer les membres du parti qui veulent que le PCC appuie officiellement le mariage gai. Toutefois, Mme Ambrose est loin d’être à l’aise en français, et plusieurs conservateurs gardent de mauvais souvenirs de son passage au sein des conseils des ministres de M. Harper, où elle a siégé, entre autres, comme ministre de l’Environnement et de la Santé. Elle fut considérée par plusieurs comme l’une des ministres les moins fortes du gouvernement.

Plusieurs conservateurs croient qu’un chef couramment bilingue, et idéalement originaire du Québec, serait le meilleur choix pour le parti. Or, d’autres craignent l’émergence d’un Parti réformiste nouvelle mouture si les conservateurs ne choisissent pas un leader provenant de l’ouest du pays. La colère est si grande dans cette région qu’un chef provenant de l’Ontario ou du Québec pourrait être perçu comme une preuve que les partis traditionnels mettent toujours les intérêts de ces provinces au-dessus de ceux des provinces de l’Ouest.

En revanche, il est difficile de voir comment les conservateurs pourraient faire une percée au Québec avec un chef provenant de l’ouest du pays qui ne parle qu’un français approximatif. D’ailleurs, cela fait 15 ans que le Parti conservateur, issu de la fusion de l’Alliance canadienne et du Parti progressiste-conservateur, est dirigé par un chef représentant une circonscription de l’ouest du pays. Le moment serait donc venu de regarder ailleurs. C’est l’argument qu’avanceraient les candidats potentiels, comme l’ancien ministre Michael Fortier et Caroline Mulroney. Même si cette dernière a déclaré jeudi qu’elle n’entend pas se lancer dans la course à la succession de M. Scheer, plusieurs observateurs conservateurs ne croient pas que sa décision soit définitive. Après tout, contrairement à M. Scheer, le prochain chef conservateur courra de véritables chances de devenir premier ministre.

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