Lennon, mort ou vivant

On célébrait ces derniers jours le triste anniversaire de l’assassinat de John Lennon à New York sous les balles d’un fan désaxé en 1980. L’an prochain, certains s’étonneront. Quarante ans, déjà ! Est-ce possible ? D’autres n’étaient pas nés en ce jour noir. Ceux-là n’auront pas perdu le souffle en apprenant la nouvelle à la télé ou à la radio. Pourtant, la scène s’est perpétuée jusqu’à eux, à travers la légende qui s’empare des événements traumatiques pour leur faire traverser le mur du temps.

Plusieurs avaient voulu y voir alors la fin d’une époque. Celui qui s’était voulu rêveur emblématique pour la paix dans le monde se voyait terrassé par la violence. Le meurtre de l’ancien Beatle y avait gagné une portée hautement symbolique. Reste que le drapeau du pacifisme, tant arboré sur les campus américains, était en berne depuis 1968 avec le meurtre de Martin Luther King.

Quand même, la mort de John Lennon, scellant une décennie 70 nourrie d’utopies fleuries, faisait chanceler encore plus les aspirations à la paix universelle. Le chanteur militant d’Imagine emportait les illusions de plusieurs idéalistes dans sa tombe. R.I.P. pour le mirage d’une génération qui crut pouvoir changer le monde. Le défunt groupe du musicien avait été pour elle un brillant éclaireur. Un voile de deuil s’était posé sur tout le Fab Four, dont le legs immense devait pourtant survivre à toutes les modes.

Rendant hommage à Lennon, sa veuve Yoko Ono appelait dimanche dernier, sur les médias sociaux, à la fin de la violence par armes à feu dans une Amérique ravagée par les fusillades de masse : « Nous transformons ce beau pays en zone de guerre ! » lançait l’artiste militante. Mais la puissante National Rifle Association n’a que faire de ses vœux pieux. Le président Trump non plus, en s’en lavant les mains. Un jour viendra peut-être…

Une théorie circule sur le Web qui proclame Lennon toujours vivant, comme Elvis. Il aurait fait semblant de disparaître pour mieux resurgir aujourd’hui dans un montage virtuel. Et pourquoi pas ressuscité dans son blanc linceul, un coup parti ? L’icône du chanteur assassiné ne se sera finalement jamais ternie. D’autant moins que le monde d’aujourd’hui manque de poètes dont la voix porte au loin. Celui d’hier renaît de ses cendres devant qui l’invoque.

Une paire de lunettes de soleil rondes qui marquaient le « look » du disparu a été cédée par un ancien chauffeur des Beatles pour vente aux enchères. À chaque époque ses reliques et ses saints.

Les don Quichotte d’aujourd’hui

Le jour de l’anniversaire de sa mort, j’ai réécouté sa chanson Imagine à la gloire d’un monde utopique sans frontières, sans religions et sans raisons de s’entretuer. Dans la foulée, Roll on John, la magnifique complainte de Bob Dylan composée des décennies après la mort de son ancien ami : « Shine your light / Movin’on / You burned so bright / Roll on, John », entonnait-il en refrain nourri d’espoir posthume.

On peut bien voir Lennon en don Quichotte à l’assaut des moulins à vent. Qui serait assez fou désormais pour s’imaginer pouvoir mettre un frein à la violence effroyable et aux inégalités sociales qui affligent notre planète en péril ? Yoko Ono ne doit pas se piquer d’illusions non plus en lançant au vent du Web ses vœux pacifistes. Mais elle les lance quand même. Après tout, l’humanité n’a eu de grandeur que par ses rêves. Et les remiser, c’est mourir avant son heure.

Que ferait John Lennon aujourd’hui ? Parions qu’il militerait sans doute pour l’environnement et dédierait des ballades à Greta Thunberg, l’icône contemporaine. Moulins à vent pour moulins à vent, le chanteur ne serait pas dupe des discours de nombreux dirigeants drapés de vert. Il comprendrait que leurs coups de barre écologiques prévus n’atteindront que la surface du mal. Les rouages de tout le système capitaliste, sur lequel la planète et ses chefs s’appuient — au mieux afin de conserver des emplois, aussi pour s’empêcher de sombrer —, vont à l’encontre des réformes profondes indispensables à la sauvegarde de nos écosystèmes. Celle-ci réclamerait une transformation totale de l’économie internationale, des modes de production, de l’échiquier politique et de nos frénésies consommatrices. Qui veut vraiment ça ?

L’ancien Beatle verrait au loin un horizon malgré tout : seule une immense levée de boucliers à l’échelle planétaire, plus vaste que celle d’aujourd’hui, à la suite de catastrophes que notre esprit peine à imaginer, pourrait bousculer l’ordre mondial à travers une révolution globale, en réflexe de survie.

Plusieurs d’entre nous baissent les bras et ferment les yeux, se sentant incapables d’imaginer l’écroulement annoncé du socle collectif sous nos pieds. Des jeunes, voyant l’avenir leur échapper, se lèvent pourtant. « You may say I’m a dreamer », chanterait toujours Lennon, mais à leurs côtés.

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