Chronique alitée

Frissons et toux, les premiers symptômes ont frappé durant le film de Lelouch, Les plus belles années d’une vie, devant cette ode au déclin incarnée dans la dignité par un Jean-Louis Trintignant tic-tac et branlant et une Aimée aimante. « On est toujours beaux quand on est amoureux », a dit Anouk. Ah ça, oui. Et on n’est jamais ni très désirables, ni très présentables lorsqu’on est malades, vieux et décrépits.
— Ils ont été courageux de se présenter comme ça à l’écran, a constaté ma mère.
— Je crois que l’appel du métier est plus fort que l’orgueil de montrer ses rides. Rester en vie, c’est aussi en faire partie.
Ma mère avait vu le film original, Un homme et une femme, shabadabada, shabadabada, avec mon père, en 1966. Ils vivaient à Paris. Ils étaient jeunes et amoureux, eux aussi ; mon paternel se prenait pour un pilote de course, pas du tout conscient qu’ils allaient vieillir un jour.
Le lendemain du film, j’ai pris le lit et décidé de le garder. Pas pour revisiter les plus belles années de ma vie, mais pour imiter la vieillesse, forcée par un gros rhume de me préparer à mourir moi aussi. On le fait si peu. On devrait s’y astreindre plus souvent.
Une sage oisiveté est le sommet de la culture
L’essentiel dans la maladie, c’est d’avoir de la soupe en réserve, des draps propres, du jus d’orange, des livres pour nous aimer et la détermination de ne rien faire, de se laisser terrasser doucement. Faire dur en mou. Ne pas lutter, comme en amour, abdiquer, accueillir ce qui fera son oeuvre. La maladie est une école déterminante. Combien de survivants m’ont confié qu’ils étaient reconnaissants d’avoir été gravement malades, d’avoir pu toucher à la vérité, au plus précieux, au coeur des choses. Ils ont perdu moins de temps en détours inutiles. On devrait toujours compter les heures qui nous restent.
De mon plumard, j’en ai profité pour écrire à quelques malades chers, mes grabataires du moment. On oublie souvent ceux qui tombent au combat lorsqu’on virevolte dans le tourbillon. Le temps et les mots manquent. J’ai fait un coucou à mes alitées, Lulu et une labyrinthite, Baba et un cancer métastatique, Élise et des fractures multiples, gracieuseté d’un dix-roues il y a deux mois. Huit semaines d’hosto…
Salon du livre maison
Et puis, je me suis fabriqué un Salon du livre dans ma chambre. Comité restreint, divers horizons, aucun néon, pas de séances de signature ni files d’attente, un rendez-vous pour terminer le roman graphique de Dany Laferrière, Vers d’autres rives. Lorsque j’ai croisé Dany il y a deux semaines, à la radio, je lui ai mentionné que j’aimais beaucoup son livre, entamé la veille. Vous auriez dû voir ses yeux. Un gamin émerveillé. Comme s’il avait Vava devant lui. On pense qu’après 30 bouquins et un discours, l’écrivain s’habitue. Que nenni.
Elle a raison, Anouk : on est toujours beaux quand on aime. Dany est amoureux de son nouveau livre et de chaque lecteur touché. Et moi aussi, encore plus que du dernier. Quel bonheur de pénétrer dans son monde, alitée, de goûter les mangues juteuses et les poètes haïtiens, de savourer ses dessins d’artisan. Le fait-main, y a que ça. C’est une médecine efficace pour à peu près tout. On sent l’affection dans le geste, comme goûter des madeleines ou des confitures maison. Il y a une lenteur toute tropicale dans ce livre, une paresse doublée de chaleur accablante qui vous plombe l’empressement. On se sent moins coupables de flâner en compagnie de l’auteur de L’art presque perdu de ne rien faire.
J’aime mieux m’en aller
Du temps que je suis belle
Qu’on ne me voie jamais
Fanée sous ma dentelle
Fanée sous ma dentelle
J’ai aussi plongé dans L’héritage du temps, de Dominique Loreau, même si je connais le propos et que je suis déjà une adepte assidue du slow food, slow sex, slow jazz, un swing lent ; je suis même des cours, et j’adore ça.
« Nous avons beaucoup gagné en liberté d’action, mais fort peu en légèreté intérieure », écrit celle qui s’emploie à nous « marikondoïser » sur tous les plans, y compris ceux de nos affairements. En ce Vendredi fou, il y a aussi la nécessité de diminuer nos besoins et nos choix. Entre la compétitivité et la productivité, il reste si peu de temps pour en perdre, sauf lorsque le corps reprend ses droits. Loreau nous apprend même que nous dormons 20 % de moins qu’au début du siècle dernier, avant Netflix et le Club Bed (j’ai le nez bouché).
Solitude et dentelles
Il y a une grande solitude dans la maladie que les livres parviennent à consoler, une page à la fois. Les bouquins ne jugent pas, ne nous embêtent pas avec nos mines de revenants. Ils se laissent abandonner et reprendre. J’ai plongé dans le Manuel d’éducation punk : La magie de Noël, un petit album pour grands enfants aux Éditions Flammarion (collection Fouille-Merde). C’est à la fois cynique et parano ; on y confronte le jeune lecteur « pour la première fois au mal et à la mort ».
Pour l’heure, on s’attaque à la consommation, au sens de Noël, aux rennes Uber, aux ateliers de lutins au Bangladesh, bref, de quoi pimenter les discussions d’un Black Friday. Quant à la magie punk, c’est aussi romantique qu’une souffleuse à feuilles sous un sapin artificiel. Ça décape.
Pour compenser cette dose de vitriol anticonsumériste — et participer à l’économie, même à l’article de la mort —, je me suis acheté des dentelles croisées sur Instagram. C’est terrible l’achat en ligne, chaque fois je suis déçue. Mais lorsque vous êtes à deux quintes du dernier soupir, vous acceptez de payer le prix fort, plus la livraison (même le service d’escorte, je prends).
Je sais, c’est mal. J’ai cédé au vice, lingerie ajourée, légère, superflue. C’est la fièvre du Vendredi fou, pas d’autre explication. Je délire à 40 degrés. J’ai trompé ma solitude avec une carte de crédit, faute de la tromper avec autre chose. Voilà où vous mène l’horizontale.
C’est Éros contre Thanatos, et ça, on dira ce qu’on voudra, ça vous redonne de l’espoir en l’avenir, vous fait croire au père Noël, même si l’ONU a tiré la énième sonnette d’alarme de l’extinction mardi. Et l’ONU ne fait pas dans la dentelle made in China, non madame.
Face à la fin du monde, il me reste une lueur de libido « zéro émission zéro conception » pour m’indiquer la direction à suivre. Celle du lit…

Entendu l’intervention nuancée de l’ex-maire Luc Ferrandez chez Patrick Lagacé au 98,5 FM cette semaine, au sujet des avertissements de l’ONU dans son dernier rapport sur le climat, juste avant la COP25 de Madrid qui s’ouvre lundi. Nous sommes parvenus au stade de l’adaptation, principalement au sujet des hydrocarbures et de notre agriculture. Les signaux de l’ONU sont non seulement alarmants, mais ils nous indiquent que le pire est à craindre « si rien n’est fait » pour baisser les émissions qui ne cessent d’augmenter.
Chantonné Une petite cantate, de Barbara, avec Gérard Depardieu (2017). Et il nous en raconte l’histoire. Similaré-similaré-sisoldofa. Ça parle de vie et de mort. Et je chanterai jusqu’à la fin…
Aimé la bande-annonce du film Les plus belles années d’une vie, de Claude Lelouch, un film lent et nostalgique avec deux géants. Et même trois, si on compte le réalisateur de 82 ans.
Écouté cette entrevue avec l’artiste multidisciplinaire Laurie Anderson (elle date de trois ans, mais c’est de l’ordre de l’éternel). Sur la création, la nécessité de sortir des étiquettes et des cadres, bref, de s’affranchir. Aux jeunes artistes, elle dit : soyez « lousses », soyez vagues ! Laissez vos propres obsessions vous porter. Tonique !
JOBLOG
Mon beau Armand à la crinière fougueuse,
Quel plaisir j’ai eu à te revoir dans ce film-portrait de John Blouin qui sort en salle aujourd’hui. Oui, tu es un géant, tu as raison. Un enfant géant, resté le même avec ton coeur grand comme ta grange. Un « ramasseux de cochonneries », un alchimiste du trop, un magicien qui nous montre le chemin vers le dépassement, un sculpteur de regards et un mentor. Même mort, tu seras encore. Ton énergie de titan transcende la matière que tu remodèles. Ton monde est immense, ta vitalité aussi. Ce film, Vaillancourt. Regarde si c’est beau, c’est tout toi avec ta générosité et ta démesure impossible. Tu le dis : « On n’est pas éternel, on est éphémère » et tu n’as pas gaspillé ton temps. Oui, tu as été élevé comme un poète et tu as raison de citer Miron. Tout ce qui n’est pas fait reste à faire.
Merci de redonner la fougue aux plus jeunes que toi.Je t’embrasse,
Joblo