Le coeur ne suffit pas toujours

Une progression de 6 points de pourcentage dans les intentions de vote des Québécois depuis le printemps dernier, conjuguée à une baisse de 5 points de Québec solidaire, est sans doute une bonne nouvelle pour le PQ, qui n’en avait pas reçu depuis longtemps. Le peu d’engouement des sympathisants péquistes pour les candidats, déclarés ou non, à la course à la chefferie a cependant de quoi inquiéter. Si même les péquistes ne sont pas emballés…

Celui qui fait figure de favori sur la ligne de départ, Sylvain Gaudreault, a la faveur d’à peine 5 % d’entre eux, bien moins que le chef intérimaire, Pascal Bérubé (15 %), celui du Bloc québécois, Yves-François Blanchet (13 %), Pierre Karl Péladeau (12 %) la députée de Joliette, Véronique Hivon (10 %) ou son encore ex-collègue du Lac-Saint-Jean, Alexandre Cloutier (8 %).

Ce n’est pas uniquement une question de notoriété. L’ancien ministre Guy Chevrette a dit du député de Jonquière qu’il « a la politique dans l’âme ». C’est peut-être là le problème. De la même façon que le PQ est perçu comme un « vieux parti » par plusieurs, on voit en lui un professionnel de la politique qu’on imagine mal la faire autrement.

Dans l’éphémère gouvernement de Pauline Marois, il a cumulé avec compétence le ministère des Transports et celui des Affaires municipales. Il a ensuite assuré avec doigté l’intérim à la direction de son parti entre le départ de Pierre Karl Péladeau et l’élection de Jean-François Lisée. Sérieux et appliqué dans son travail de porte-parole du PQ en matière d’environnement, on ne peut lui reprocher aucun accroc à l’éthique. Son opposition au projet de gaz naturel liquéfié au Saguenay, alors que la grande majorité de ses commettants y sont favorables, témoigne également d’un courage politique certain.

Même s’il n’a que 49 ans, il est cependant difficile de voir en lui un symbole du renouveau que cherche désespérément à incarner le PQ. On pourrait le qualifier de péquiste classique, souverainiste convaincu et social-démocrate bon teint, le tout assaisonné d’une bonne dose de pragmatisme, à l’image de plus en plus « drabe » que son parti projette depuis vingt ans.

Il est vrai que les sympathisants libéraux préféreraient avoir Denis Coderre comme chef (19 %) plutôt que Dominique Anglade (12 %) ou le maire de Drummondville, Alexandre Cusson, mais le PLQ n’a pas la prétention de faire rêver qui que ce soit, il veut simplement reprendre le pouvoir. Pour réussir à entraîner les Québécois dans l’aventure de l’indépendance, le coeur et la compétence ne suffisent pas, il faut aussi être capable d’insuffler la foi qui transporte les montagnes. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Dans un premier temps, il faudra d’ailleurs que les péquistes s’entendent sur la voie à suivre. Les délégués au congrès extraordinaire de début novembre ont résolu de remettre l’indépendance au centre de leur action politique, mais ils n’ont pas voulu discuter du processus devant mener à l’indépendance. ni d’un quelconque échéancier. Qu’il le veuille ou non, le PQ ne pourra cependant pas faire l’économie d’un débat sur la stratégie à l’occasion de la course à la chefferie. Il sera même déterminant dans le choix du futur chef.

Dans l’hypothèse où il prendrait les commandes, M. Gaudreault a assuré que le PQ présentera une « position claire » d’ici l’élection de 2022, mais il a aussi dit qu’« on n’a pas le luxe de perdre un autre référendum », ce qui semble ouvrir la porte à un nouveau report d’un éventuel référendum ou de toute autre voie d’accession à l’indépendance à un deuxième mandat. De toute évidence, cela ne ferait pas l’unanimité au sein du parti. À partir du moment où le PQ a affirmé ne plus être intéressé par la « gestion ordinaire d’une province », comment pourrait-on justifier un tel report ?

Qui plus est, les délégués au récent congrès de QS ont décidé qu’un gouvernement solidaire poserait dès son élection des « gestes de rupture » incompatibles avec la constitution canadienne. On voit mal comment le « navire amiral » de l’indépendance que prétend toujours être le PQ pourrait se montrer moins pressé de la réaliser.

Dans l’état d’esprit où ils se trouvent, M. Gaudreault aura d’ailleurs du mal à convaincre les militants péquistes de reprendre le dialogue avec QS. Personne n’a oublié la façon injurieuse dont l’offre d’alliance a été rejetée au printemps 2017. « Quand on veut un projet de pays, on ne ferme la porte à personne », a-t-il déclaré. Il a sans doute raison mais encore faut-il que l’autre veuille entrer.

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