Le prix du climat

La ministre des Affaires intergouvernementales, Chrystia Freeland, était en tournée dans l’Ouest en début de semaine afin de briser la glace avec les premiers ministres albertain et saskatchewanais, Jason Kenney et Scott Moe. Depuis le 21 octobre, on n’en a plus que pour la frustration et les attentes de ces deux provinces qui s’estiment méprisées.

Ces provinces vivent bel et bien un ralentissement économique attribuable avant tout au fléchissement du prix mondial du pétrole et, en second lieu, à la quasi-impossibilité d’écouler leur production accrue de pétrole sur d’autres marchés que le marché américain. Pour leur venir en aide, le gouvernement fédéral a même acheté le pipeline Trans Mountain afin d’en assurer l’élargissement. L’Alberta et la Saskatchewan persistent quand même à accuser les Canadiens de l’est du pays, et le Québec en particulier, de faire obstacle à leur prospérité en insistant entre autres sur l’adoption de mesures de lutte contre les changements climatiques.

Voilà le noeud et la vraie source des tensions qui divisent actuellement le pays : l’environnement. Oui, ces deux provinces des Prairies veulent d’autres pipelines, mais la plupart de leurs revendications visent avant tout à affaiblir ou à effacer des mesures environnementales essentielles. La taxe sur le carbone est leur cible de prédilection. Ils en contestent même la constitutionnalité devant les tribunaux. L’Ontario du conservateur Doug Ford et la Saskatchewan ont perdu leur cause devant leur Cour d’appel respective en mai et juin, mais ils n’en démordent pas. La Saskatchewan a décidé d’en appeler devant la Cour suprême du Canada, l’Ontario y songe et l’Alberta, elle, attend la décision de sa propre cour.

Que proposent en échange ces politiciens qui se disent champions de l’économie ? Des mesures moins efficaces, plus coûteuses, mais plus faciles à vendre politiquement. Dans un rapport publié aujourd’hui, la Commission de l’écofiscalité démontre que, pour atteindre la cible qu’il s’est fixée pour 2030 en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (30 % sous le niveau de 2005), le Canada devra faire davantage et la solution offrant le meilleur rapport qualité-prix est la tarification du carbone, que ce soit une taxe ou un système de plafonds et d’échange de crédits comme au Québec.

Cette commission, formée d’économistes et d’anciens hauts fonctionnaires de toutes les régions du pays, a toujours estimé qu’il était possible, avec les bons moyens, de s’attaquer aux changements climatiques sans ruiner l’économie. Leur équipe a donc examiné les diverses approches actuellement mises en oeuvre pour voir comment, ajoutées aux mesures déjà en place, elles pourraient permettre de combler le fossé qui sépare le Canada de son objectif de 2030. On voulait identifier celle qui donnerait les meilleurs résultats à meilleur prix pour les gouvernements et les contribuables.

La taxe sur le carbone l’a emporté puisqu’elle distribue de façon très large le fardeau de la réduction des GES et peut en faire autant des revenus générés. Le hic est sa visibilité qui la rend politiquement difficile à introduire. Une autre approche consiste à imposer une réglementation flexible, insiste-t-on, et tout en offrant des subventions pour l’adoption de solutions de rechange. Le coût assumé à travers les impôts et la facture refilée aux consommateurs sont moins visibles mais plus élevés, le fardeau étant distribué moins largement. La troisième approche consiste à ne cibler que les gros émetteurs industriels avec des règles strictes et des subventions généreuses pour amortir le choc, mais le coût caché va en augmentant.

Ce n’est pas le premier groupe d’experts à souligner l’efficacité de la tarification du carbone pour inciter les citoyens et les entreprises à réduire leur empreinte écologique. Même le Fonds monétaire international le dit. Malgré cela, à l’instar de ses vis-à-vis provinciaux, le chef conservateur fédéral, Andrew Scheer, s’y oppose farouchement et a préféré durant la dernière campagne mettre de l’avant un plan enchevêtré qui ne lui permettait même pas de s’engager à respecter la cible de 2030.

MM. Scheer, Kenney et consorts devraient imiter leur collègue du Nouveau-Brunswick qui a abandonné sa contestation de la taxe sur le carbone pour introduire son propre plan de réduction des GES. Leur anxiété économique n’a d’égale que l’anxiété climatique de bien des citoyens qui ont le sentiment d’être actuellement otages des intérêts du secteur pétrolier.

Quant aux libéraux, ils ont le mérite d’avoir pris le risque politique d’introduire la taxe sur le carbone, mais ils n’arriveront pas à faire du Canada un pays carboneutre en 2050, comme promis cet automne, sans présenter — avec pédagogie, svp ! — un plan complet et exigeant, prévoyant entre autres de continuer d’augmenter la dite taxe après 2022.

Le fait de former un gouvernement minoritaire ne suffira pas à justifier une action trop timide puisque trois des quatre partis d’opposition se veulent aussi, sinon plus ambitieux que les libéraux.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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