Revues prédatrices
On en parle enfin et c’est tant mieux ! De quoi donc ? Des revues prédatrices. Où ? Entre autres dans L’actualité, qui propose dans son plus récent numéro un excellent texte sur le sujet, signé Alex Gilles, et à l’UQAM, qui organise cette semaine un atelier (« Les éditeurs “prédateurs” : mieux les connaître afin de les éviter ») pour informer et mettre en garde ses professeurs.
Je vous rappelle d’abord ce que sont ces revues prédatrices, mais je veux ensuite dire qu’elles ne sont, hélas, pas le seul ennemi qui fait — ou qui peut faire — de l’intérieur du mal à l’université, et par conséquent à nous tous.
Maggie Simpson, chercheuse universitaire
Commençons avec un exemple.
Dans le Journal of Computational Intelligence and Electronic Systems, qui l’avait bel et bien accepté, vous auriez pu lire un très savant article intitulé « “Fuzzy”, Homogeneous Configurations ». Ce texte présente toutefois de très gros problèmes, mais ce sont des problèmes qu’un observateur non averti ou peu savant risque de ne pas apercevoir. Toutefois, si on est un peu informé du sujet dont il traite, on voit immédiatement que l’article comprend des phrases et des idées totalement absurdes et incompréhensibles. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant : il a été composé à l’aide d’un programme générant du texte au hasard, SciGen.
Mais même le citoyen lambda aurait tiqué devant les noms des auteurs de l’article. C’est Alex Smolyanitsky, véritable chercheur en ingénierie, qui l’a « écrit » et soumis. Or, il dit le signer avec les trois coauteurs suivants : Maggie Simpson, oui, oui, le bébé de la célèbre série ; l’enseignante de Bart Simpson, Edna Krabappel ; sans oublier Kim Jong Fun.
L’article a pourtant été accepté, très vite, par cette revue et dans de nombreuses autres revues où il avait été soumis. Il faut dire que ce sont des revues d’un genre nouveau, dites prédatrices, justement.
Elles sont apparues entre autres parce que la publication en ligne permettait de se soustraire aux lourds coûts de la publication par les revues universitaires, mais aussi à la lourdeur administrative et au long temps nécessaire pour assurer l’indispensable révision par les pairs du contenu des articles soumis.
Ces revues prédatrices, par milliers, sont alors apparues et, contre argent sonnant, elles publient en ligne vos textes dans ce qui a toutes les apparences d’une revue scientifique de bon aloi — mais qui bien souvent n’a rien d’autre que cela. Des listes recensant ces prédateurs existent. Elles sont mises à jour à mesure que le mal se répand, alimenté notamment par la soif de profits de ces dangereux nouveaux acteurs de la vie intellectuelle et par la naïveté ou l’ignorance des auteurs motivés, eux, par l’impérieux besoin de publier.
Notez que ce phénomène touche aussi, même s’il est moins connu et moins dévoilé, des colloques et conférences bidon ou qui n’ont même jamais eu lieu.
Je l’ai dit : j’avance que le mal prend aussi d’autres formes, dont on devrait aussi s’inquiéter.
Les ennemis intérieurs
La commercialisation de la recherche, pour commencer, devrait aussi nous alerter, pour plusieurs raisons.
La première est la possibilité que ses objets soient alors massivement décidés par des intérêts économiques, financiers ou commerciaux, souvent à courte vue, et cela au détriment de la recherche menée pour d’autres raisons, parmi lesquelles l’intérêt strictement intellectuel.
La deuxième concerne l’appropriation des résultats et avec elle, leur éventuelle diffusion.
Je soutiens aussi que cette insistance à ne valoriser que la recherche subventionnée peut être néfaste pour la poursuite de travaux importants, mais qui ne nécessitent pas, ou si peu, de fonds.
Elle peut aussi inciter à aller vers des objets de recherche qui semblent parfois inventés de toutes pièces et qu’on poursuit parce qu’ils sont à la mode ou parce qu’ils sont ce que le milieu demande, pour ne pas dire impose — en interdisant même parfois qu’on ose penser ou dire autre chose.
Je pense d’ailleurs que l’on a vu, hélas, apparaître, au sein de l’université, dans ce contexte et avec ces effets de mode évoqués plus haut, des disciplines, des revues et des programmes de recherche pour le moins étranges ou douteux.
Je ne nommerai rien ni personne, mais disons que le virus postmoderne, brillamment isolé par Alan Sokal en 1996 avec son triste mais hilarant canular, s’est répandu. Un indice qui me met en alerte est ce sentiment de toujours connaître à l’avance la conclusion de l’article qu’on me propose, et qui porte pourtant sur un sujet débattu ou chaudement controversé.
Quoi qu’il en soit, je pense que tout le monde conviendra qu’il y a dans tout cela des raisons de s’inquiéter. Pour la vie intellectuelle et universitaire, bien sûr, mais aussi pour la vie et pour la conversation démocratiques, ainsi privées des indispensables apports du savoir et de l’expertise désintéressés.
Truc et astuce de prof
Sur la lecture, bis. Cette semaine est en cours la deuxième campagne du mouvement À go, on lit !, qui veut promouvoir la lecture chez les jeunes de 14 à 20 ans.
Son site Web est accessible à l’adresse www.agol.ca
La perle de la semaine
Elle est offerte par Jean-Louis Plamondon. Il raconte.
« C’était en 1965. J’étais à ma première année d’enseignement et je donnais le cours de religion en 7e année. Le manuel scolaire que nous utilisions contenait plusieurs textes de l’Ancien Testament.
Un matin, je demande aux élèves :
“Quand Dieu a-t-il créé le monde ?”
Un garçon lève la main :
“Au commencement de la récréation.” »