L’innovation en renfort aux villes médianes
Transformer son téléphone intelligent en carte de transport ? C’est à la fois simple et brillant. Il suffisait d’y penser, et Shawinigan est aujourd’hui la première ville au Canada qui pourra bénéficier de ce système mis au point par une PME française du nom de Monkey Factory. Puisque les fréquences des circuits dans les villes médianes sont parfois variables, l’application permet aussi aux usagers de suivre les autobus par géolocalisation pour ne pas attendre trop longtemps aux arrêts.
L’entente entre Monkey Factory et Shawinigan a été signée dans le cadre de la deuxième édition du SIIVIM, le Sommet international de l’innovation en villes médianes, qui s’y est tenu à la mi-novembre, avec une prémisse : l’avenir est aux villes, mais la concurrence est féroce et toutes cherchent à se distinguer.
Comment y parvenir quand on ne dispose pas des ressources, et des pouvoirs, des mégalopoles ? En misant sur l’innovation. C’est la stratégie qu’ont mise en avant les parrains du SIIVIM, les maires de Shawinigan, Michel Angers, et de Nevers, Denis Thuriot. C’est justement à Nevers, en Bourgogne de l’Ouest, que s’est tenue la première mouture du SIIVIM en 2018.
Les deux dirigeants s’étaient rencontrés plus tôt lors d’un autre événement. Ils avaient alors réalisé que leurs villes respectives faisaient face à un défi commun, celui de se réinventer. Shawinigan compte 50 000 habitants, presque autant que l’agglomération de Nevers, à 57 000 habitants. De véritables villes de taille médiane.
Elles avaient connu toutes deux des moments plus réjouissants avant de décliner. Il leur fallait redevenir attractives pour freiner l’exode de leurs habitants comme celui des entreprises. Les deux maires ont aussi compris que c’était le lot de nombreuses villes médianes, tant en France qu’au Québec, avec différents contextes, mais des enjeux foncièrement identiques.
De là sont nées l’idée de ce sommet et celle de miser sur une nouvelle alliée, l’intelligence artificielle, pour mieux servir les parties prenantes malgré des moyens parfois moins importants que ceux des grandes villes. Par exemple en liant les autobus et les téléphones intelligents…
Cette deuxième édition, la première en sol québécois, a attiré des représentants de 53 municipalités et MRC des quatre coins du Québec, de l’Abitibi à la Gaspésie, en plus d’une trentaine de Nivernois, officiers municipaux tout comme dirigeants de PME.
En tout, 400 personnes ont participé à l’une ou l’autre des activités qui se sont déroulées pendant deux jours à l’Espace Shawinigan, un véritable symbole en soi : c’est ici que fut coulé en 1901 le tout premier lingot d’aluminium au Canada, par la Pittsburgh Reduction Company (aujourd’hui Alcoa), à l’époque où la ville allait s’imposer comme la communauté la plus prospère au pays, cadeau des centrales hydroélectriques voisines qui alimentaient de grandes usines consommatrices d’énergie.
Cette époque est révolue depuis longtemps. La mise au point des lignes de transmission à haute tension par Hydro-Québec a rendu inutile le fait d’être situé à proximité des lieux de production d’électricité.
Cet immense complexe, comme bien d’autres autour, a progressivement été abandonné, et la ville est tombée en léthargie, avec ces friches industrielles désuètes pour lui rappeler douloureusement son riche passé.
Mais tous n’ont pas baissé les bras. Et en 2003, comme par défi, on redonnait vie à l’ancienne aluminerie avec une nouvelle vocation : celle de centre de congrès et d’exposition, axé sur les réalités du XXIe siècle. Il était donc tout naturel qu’un sommet portant sur l’innovation se déroule en ces lieux eux-mêmes renouvelés.
Le même travail attend les villes médianes de partout au Québec : celui de se forger une personnalité distinctive en misant sur l’innovation, un enjeu omniprésent lors de ce sommet. C’est plus qu’une question de fierté, leur avenir est en jeu.
Ainsi, Gaspé n’a pas oublié l’industrie des pêches, mais elle se présente aujourd’hui comme la capitale de l’énergie éolienne au Québec, avec un centre de recherches reconnu — le Technocentre éolien — et la plus importante usine à l’est de Québec, du côté sud du Saint-Laurent, la LM Wind Power.
Au centre du Québec, Thetford Mines a réussi à dépoussiérer son image de ville liée aux mines d’amiante en misant sur l’entrepreneuriat local, au point de se classer, en 2014, au premier rang des villes les plus entrepreneuriales au Québec selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).
Au sud de Montréal, Candiac veut se présenter comme une ville verte alors qu’on la réduit souvent au rôle de dortoir de banlieue : elle plante sans cesse des arbres, désormais plus nombreux que la population, et elle met en place un quartier TOD, ou Transit Oriented Development, à proximité de la gare de train.
Ces initiatives vont-elles permettre à ces villes d’assurer leur avenir ? Peuvent-elles servir d’exemples aux autres qui doivent elles aussi redéfinir leur branding ?
Au moins, elles essaient. Et la seule façon réaliste d’y parvenir est de jouer la carte de l’innovation.
Elles ont un atout : la connectivité associée au potentiel de l’intelligence artificielle leur permet de jouer dans la cour des grandes villes sans disposer nécessairement des mêmes moyens. Les citoyens n’en peuvent plus d’attendre en file pour obtenir un permis ou de guetter le courrier en espérant qu’il leur sera livré ? On peut aujourd’hui tout régler en quelques minutes, surtout si les demandes, et les images qui les accompagnent, peuvent être transmises en ligne.
Ce n’est là qu’un exemple, mais les villes, il faut se le rappeler, se retrouvent directement au front : elles ne gèrent pas tant des questions existentielles que des besoins au jour le jour. En devenant plus efficaces, elles deviennent du même coup plus attractives. Il en va de leur avenir.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.