Un cabinet électoral
On l’a dit et répété, la formation d’un Conseil est un exercice difficile qui doit, dans toute la mesure du possible, assurer la parité entre les sexes et une représentation équitable des différentes régions. Avant toute chose, le premier ministre doit cependant avoir déterminé ce que sera la grande priorité de son gouvernement. Les résultats des élections du 21 octobre ont clairement indiqué à Justin Trudeau que l’unité canadienne devra être cette priorité.
François-Philippe Champagne possède certainement les qualités requises pour occuper le poste de ministre des Affaires étrangères, mais Chrystia Freeland n’a certainement pas démérité, bien au contraire. En d’autres circonstances, elle aurait sans doute été reconduite dans ses fonctions, mais M. Trudeau a estimé avec raison que ses talents de diplomate seront mieux employés à apaiser les divisions internes qu’à gérer les sautes d’humeur de Donald Trump.
À moins d’être attentif, pratiquement personne n’avait remarqué que le ministre des Finances, Bill Morneau, a pris la relève aux Affaires intergouvernementales quand Dominic Leblanc a dû suspendre ses activités pour subir des traitements contre le cancer au printemps dernier. Depuis l’époque où Stéphane Dion avait concocté le « plan B » et la Loi sur la clarté, ce ministre était relativement secondaire. Après une série de titulaires passagers, Denis Lebel lui a redonné un peu de lustre durant le dernier mandat de Stephen Harper, mais on se souvient surtout de lui en sa qualité de lieutenant au Québec.
Pour bien marquer la nouvelle importance que M. Trudeau accorde à ce poste, Mme Freeland a été affublée du titre de vice-première ministre. On a beau lui avoir redécouvert des origines albertaines, il est cependant très douteux que cela suffise à réconcilier l’ouest du pays avec le PLC d’ici la fin de son mandat. Il est vrai que la renégociation de l’accord de libre-échange semblait presque une mission impossible au départ, mais résoudre les contradictions fondamentales du Canada est bien plus qu’une affaire de diplomatie. Malgré toutes ses qualités, elle ne pourra ni faire augmenter le prix du pétrole ni calmer l’angoisse climatique.
Si M. Trudeau a jugé qu’il était de son devoir de tenter d’adoucir la frustration de l’Ouest pétrolier, il a surtout compris que l’intérêt de son parti commande d’accorder une plus grande importance au Québec, où les stratèges libéraux n’avaient pas vu venir la résurrection du Bloc québécois. À moins de retrouver une majorité parlementaire, sa carrière politique risque de tourner court et cette majorité pourrait dépendre encore une fois de la performance de son parti au Québec. Tous les élus québécois qui avaient accédé au cabinet en 2015 ont été maintenus dans leurs fonctions ou ont reçu une promotion et il y a deux nouveaux venus. Bref, cela a toutes les apparences d’un cabinet électoral.
On peut comprendre la déception des écologistes de voir l’ancien directeur d’Équiterre, Steven Guilbeault, atterrir au Patrimoine canadien. « C’est comme faire jouer Carey Price à l’aile droite », a écrit un internaute. Mais le nommer à l’Environnement aurait été comme agiter un chiffon rouge devant le boeuf de l’Ouest. M. Guilbeault lui-même aurait vite trouvé sa position embarrassante. L’exemple du Français Nicolas Hulot vient immédiatement à l’esprit.
Il fallait vraiment que M. Trudeau sente la soupe chaude pour qu’il surmonte sa réticence à nommer un lieutenant québécois. Le député d’Honoré-Mercier, Pablo Rodriguez, qui jouera également un rôle névralgique en qualité de leader parlementaire du gouvernement, était un candidat logique, si ce n’est que le PLC n’est pas menacé par le Bloc sur l’île de Montréal, mais à l’extérieur.
La responsabilité d’assurer une relative harmonie dans les relations fédérales-provinciales incombe ultimement aux premiers ministres, et M. Legault a répété mercredi qu’avec ou sans lieutenant, il entendait traiter directement avec son vis-à-vis fédéral. C’est ce qu’ont fait tous ses prédécesseurs, mais tous ont aussi constaté que la présence d’une personne dotée de bonnes antennes au Québec, tout en bénéficiant de l’entière confiance du premier ministre canadien, était de nature à faciliter les choses. La nomination de M. Rodriguez ne dispense cependant pas M. Trudeau de renforcer la présence québécoise dans son entourage immédiat. S’il est monopolisé par des conseillers de Toronto, ce sera peine perdue.
Si la lutte s’annonce féroce entre les libéraux et le Bloc pour le partage des dernières dépouilles du NPD, le renforcement de la représentation libérale au Québec a également de quoi faire réfléchir les conservateurs. Le sénateur Jean-Guy Dagenais, qui bénéficie de l’immunité que lui assure son inamovibilité jusqu’à l’âge de 75 ans, a simplement exprimé tout haut ce que ceux dont la position est moins assurée préfèrent penser tout bas quand il a dit que M. Scheer avait été un boulet pour les candidats conservateurs au Québec. Il ne fait aucun doute qu’il le sera encore si on ne les en délivre pas.