Un vrai débat

Pour bien juger un politicien, rien de mieux qu’une bonne séance de reddition de comptes, et le débat en français tenu jeudi soir à Gatineau a réussi à forcer les six chefs à faire davantage qu’esquiver les questions. L’une d’entre elles demeure cependant en suspens pour trois des six chefs. Comment le conservateur Andrew Scheer, le néodémocrate Jagmeet Singh et Maxime Bernier atteindront-ils leurs objectifs financiers ?

Aucun des trois ne s’est présenté à ce dernier débat, 11 jours avant le scrutin, avec un plan détaillant la façon dont ils financeront leurs promesses et / ou élimineront le déficit. Le NPD et le Parti conservateur devraient le faire aujourd’hui, dit-on. Un choix commode qui leur a évité de se faire questionner publiquement à leur sujet.

Leurs engagements sont pourtant ambitieux. M. Singh promet des milliards en dépenses sociales et environnementales, ainsi que pour les Autochtones, mais il n’a dévoilé que peu de nouvelles sources de revenus pour éponger la facture et il n’arrive qu’à en couvrir la moitié, sinon moins.

M. Scheer promet d’effacer le déficit d’ici cinq ans, donc après le mandat qu’il sollicite, mais lui aussi a pour l’instant prévu juste assez de nouveaux revenus et de compressions (élimination de subventions aux entreprises et réduction de l’aide au développement de 25 %) pour payer environ la moitié de ses futures dépenses.

Quant à M. Bernier, le chef du Parti populaire du Canada, il promet d’éliminer le déficit en deux ans et, a-t-il dit lors du débat en anglais, sans effectuer de coupes dans les services. Il ne parle pourtant que d’éliminer l’aide au développement et toutes les subventions aux entreprises. Comment tout cela s’additionne-t-il ? Le déficit à effacer est quand même de 14 milliards.

Le débat de jeudi soir, bien rythmé et arbitré, avec des questions vraiment précises et très variées, a permis de tirer le meilleur de tous les chefs. Aucun ne s’est vraiment démarqué, mais le débat, en tant qu’exercice, a retrouvé ses lettres de noblesse. Il a permis de couvrir plus de terrain et de jeter un éclairage beaucoup plus direct sur les engagements de tous les partis que ne l’avait fait le débat en anglais. La présence de Maxime Bernier, démesurée par rapport à son poids politique, a cette fois-ci servi à souligner à maintes reprises que les autres partis font des promesses qui empiètent dans les plates-bandes des provinces, que le fédéral peut ne pas pouvoir être capable de se les payer, ce qui, dans bien des cas, équivaut à acheter le vote des gens avec leur argent.

Il y a eu de la cacophonie, mais bien peu. Au bout du compte, les citoyens qui ont suivi ce débat ont vraiment pu se faire une bonne idée des positions des partis sur les finances, l’aide aux personnes âgées, la construction de pipelines, les relations avec la Chine et ainsi de suite.

On n’a pu malheureusement éviter la désinformation qui a empoisonné davantage le débat précédent et qui entache cette campagne depuis le début. Ce qui n’est pas anodin. En février 2018, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) publiait un rapport qui dressait un portrait préoccupant de la désinformation dans le monde. Il y invitait tout le monde, y compris les responsables gouvernementaux, à contrer ce véritable danger pour la démocratie et la qualité du débat public. Mais, comme on le voit durant cette campagne, les sources de désinformation peuvent aussi être canadiennes et… partisanes, y compris durant les débats des chefs.

Tout ce qui se dit depuis un mois n’est pas faux, loin de là, mais comment le citoyen qui ne connaît pas les détails des politiques des uns et des autres peut s’y retrouver. Personne ne s’illusionne. Déformer les faits et afficher sans aucune gêne une malhonnêteté intellectuelle inspirée par la partisanerie ne datent pas d’hier, mais comme le note le SCRS, leurs effets sont amplifiés en cette ère des réseaux sociaux.

Les conservateurs ont exploité cette vulnérabilité, allant jusqu’à lancer le jour du débat en anglais un site Internet relayant la fausse nouvelle selon laquelle les libéraux veulent imposer le profit de la vente d’une résidence principale. Malgré les démentis et les multiples reportages démontrant que cela était faux, le PC persiste et signe sous prétexte qu’on ne peut croire les libéraux. À ce compte, on peut les soupçonner de n’importe quoi.

Le Parti libéral et son chef, Justin Trudeau, ne s’honorent pas non plus en accusant faussement les conservateurs de proposer des allègements fiscaux qui privilégient les milliardaires, alors que le PC promet une réduction universelle du plus bas taux d’imposition qui profite à tous.

Si nos élus prennent au sérieux les avertissements du SCRS et la santé de notre démocratie, pourquoi persistent-ils à recourir à la désinformation ? Les débats électoraux sont pour bien des citoyens le moment où ils commencent à suivre de plus près la campagne. L’exercice de jeudi a joué son rôle, espérons que le ton a été donné pour le reste de la campagne.

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