La protection des sources journalistiques est la règle
Ce n’est qu’en présence d’une démonstration claire de circonstances exceptionnelles qu’un tribunal peut contraindre un journaliste à transgresser ses engagements de protéger l’anonymat de ses sources. La protection des sources confidentielles d’information des journalistes est désormais la règle.
La décision rendue vendredi par la Cour suprême renvoie au juge présidant le procès de Marc-Yvan Côté la tâche de décider si la journaliste Marie-Maude Denis peut être contrainte de révéler l’identité de ses sources d’information. La Cour suprême a clarifié la nouvelle législation sur la protection des sources journalistiques. Les règles édictées par cette loi fédérale entrée en vigueur en 2017 ont changé les anciennes approches à cet égard. Désormais, la protection de la confidentialité des sources journalistiques prévaut, sauf s’il y a une preuve très convaincante de la nécessité d’y déroger.
Le juge en chef Wagner reconnaît que l’adoption de la Loi sur la protection des sources journalistiques a profondément modifié le processus d’analyse et l’ordre de préséance des critères permettant de départager les situations où la confidentialité doit être assurée et celles où l’intérêt du processus judiciaire peut justifier de contraindre un journaliste à révéler ses sources confidentielles. Il explique que le Parlement a créé un régime de droit nouveau, duquel se dégage une intention claire : accorder une protection accrue à la confidentialité des sources journalistiques dans le cadre des rapports qu’entretiennent les journalistes avec leurs sources.
Le fardeau de la preuve
Cette intention se manifeste par le renversement du fardeau de démontrer que le journaliste n’a pas à révéler ses sources. Avant l’adoption de la loi, la non-divulgation de l’identité de sources confidentielles avait un caractère exceptionnel. Il incombait au journaliste de démontrer au cas par cas que les conditions étaient réunies pour faire jouer la protection de ses sources.
Selon les dispositions introduites par la Loi sur la protection des sources journalistiques, le journaliste n’a qu’à établir qu’il est un « journaliste » et que sa source confidentielle est une « source journalistique » au sens de la loi. Une fois cela avéré, c’est à la partie qui souhaite la divulgation du renseignement qui révèle le nom ou est susceptible de révéler le nom d’une source journalistique d’établir que les conditions sont réunies pour que le tribunal autorise la divulgation. Alors, celui qui souhaite obtenir la divulgation doit démontrer que ce renseignement ou document « ne peut être mis en preuve par un autre moyen raisonnable ».
Une fois la nécessité de la mise en preuve du renseignement démontrée, il revient au juge d’évaluer si « l’intérêt public dans l’administration de la justice l’emporte sur l’intérêt public à préserver la confidentialité de la source journalistique » en cause. Une telle évaluation doit tenir compte de l’importance du renseignement revendiqué dans le contexte spécifique du procès, mais aussi de la liberté de la presse et des conséquences de la divulgation sur la source journalistique et le journaliste. Un tel exercice de mise en balance s’envisage dans le contexte concret du procès et tient compte du fait que la loi autorise le juge à assortir la divulgation de conditions propres à protéger l’identité de la source journalistique. En somme, la divulgation des renseignements susceptibles de révéler l’identité d’une source journalistique peut constituer un remède approprié dans les seuls cas où les avantages qu’elle présente dépassent clairement ses inconvénients.
Le rôle des médias
Pour la Cour suprême, cette protection renforcée des sources confidentielles des journalistes se justifie par le rôle que jouent les médias dans les processus démocratiques. Par leurs enquêtes et leurs critiques, les médias contribuent « à l’existence et au maintien d’une société libre et démocratique ». Le juge en chef explique que le journalisme contribue à faire en sorte que les institutions publiques et les acteurs privés rendent compte de leurs décisions et de leurs activités. En participant à la libre circulation de l’information, les médias contribuent à un « débat productif » sur les questions d’intérêt public.
De même, la Cour insiste pour rappeler que la liberté de la presse englobe non seulement la faculté des médias de diffuser de l’information, mais également la capacité de recueillir de l’information et d’entretenir des relations confidentielles avec des sources journalistiques. C’est pourquoi tenter de mobiliser un journaliste contre sa source contrevient à la liberté de la presse. La Cour reconnaît que « sans les lanceurs d’alerte et autres sources anonymes, il serait bien difficile pour les journalistes de s’acquitter de leur importante mission ».
Cette décision envoie un signal fort à l’ensemble des instances judiciaires. La capacité des médias de recueillir des informations et d’en communiquer la teneur au public est une dimension essentielle des processus démocratiques. La liberté de presse protège contre les règles et pratiques qui inhibent la capacité des médias à faire leur travail. Cette liberté n’est pas qu’un principe abstrait qui peut être mis de côté aussitôt que cela dérange. C’est clairement à ceux qui veulent limiter la liberté de presse qu’il incombe de démontrer sérieusement la validité de leurs prétentions. Le message de la Cour est nécessaire, car nous vivons dans une société où la protection des libertés expressives est loin d’être une priorité pour tous.