Signes religieux et téléphones portables

Il y a des similitudes entre la loi québécoise prohibant le port de signes religieux par des personnes en position d’autorité et le règlement ontarien qui interdira à compter de novembre à tous les élèves d’avoir un téléphone portable dans les salles de classe. L’une et l’autre reprennent des interdits que l’on retrouve dans le droit de certains pays européens. Tant la loi québécoise que la réglementation ontarienne bénéficient d’un fort appui de la population. Alors que la loi québécoise impose une limite à la liberté de religion, la mesure ontarienne limite la liberté d’expression.

On peut d’entrée de jeu convenir de l’importance des enjeux pour les personnes qui doivent subir les restrictions imposées par la loi québécoise à leur liberté de religion. Le défaut de respecter l’interdit de signes religieux peut engendrer pour elles l’impossibilité d’exercer certaines fonctions.

Mais il n’y a pas de raison d’ignorer les effets considérables de la prohibition ontarienne pour les personnes visées. Des critiques de la mesure ontarienne ont évoqué le fait que l’interdiction des portables sera difficile à appliquer et qu’elle pourrait être utilisée contre les élèves marginalisés. De même, les avis sont partagés quant au caractère néfaste du portable en contexte éducatif. Certains le considèrent comme une plaie tandis que d’autres y voient un véhicule de possibilités d’apprentissage. En l’absence de démonstration des maux à enrayer, faut-il s’en tenir à réglementer en fonction de ce qui est souhaité par la majorité ?

L’interdiction ontarienne

Les justifications de l’interdit ontarien du téléphone portable dans les écoles ressemblent à celles qui avaient été invoquées pour prohiber le port du kirpan au Québec. Il y a quelques années, la Cour suprême avait jugé qu’une interdiction générale visant la possession de couteaux par les étudiants ne pouvait être appliquée aux élèves pour lesquels le port du kirpan est un devoir commandé par leurs croyances religieuses. La Cour avait alors estimé que les impératifs de sécurité invoqués pour justifier la prohibition générale n’étaient pas soutenus par une preuve qui aurait démontré que le port de ces objets pouvait engendrer de la violence. La mesure ne constituait donc pas une limite raisonnable et justifiée à la liberté garantie par la Constitution.

Compte tenu de ce type de précédent, on retient que, pour justifier une interdiction généralisée de la possession de téléphones portables, il faut déterminer les maux que l’on cherche à enrayer par une telle mesure. Or, on ne trouve pas à ce jour d’analyses établissant un rapport significatif entre la possession de téléphones portables et des maux généralisés dans les écoles. La même carence d’analyses est invoquée pour contester la loi québécoise sur les signes religieux. Comme l’a montré l’affaire du kirpan, lorsqu’on limite une liberté fondamentale, il faut plus que des affirmations ex cathedra sur les inconvénients de l’objet pour justifier un interdit à caractère universel.

La liberté d’expression protège non seulement la liberté d’émettre de l’information, mais également celle d’en recevoir. Or, les téléphones portables procurent la capacité de communiquer et de consigner des informations sur la vie et l’intimité de son possesseur ou de ses proches. C’est souvent un dispositif doté d’applications pouvant capter et conserver toutes sortes de données sur le quotidien de son détenteur.

La Cour suprême a reconnu que les téléphones portables soulèvent des enjeux relatifs aux libertés fondamentales. Leur contenu peut avoir d’importantes implications sur la vie privée de leur possesseur. Il y a plusieurs arguments pour soutenir que la possession d’un tel appareil constitue une activité protégée par la liberté d’expression. Il faut donc se demander si la mesure ontarienne impose des limites raisonnables à cette liberté fondamentale.

Ce qui rend le règlement ontarien vulnérable aux contestations, c’est son universalité. Sauf exceptions limitées, il prohibe la possession de l’objet à tous les étudiants. Actuellement, dans des contextes précis, un enseignant ou une école peut, au nom d’impératifs précis, interdire la possession ou l’usage de l’objet. Par exemple, les téléphones portables et les ordinateurs sont fréquemment interdits lors des séances d’examens. Plus la mesure entravant une liberté garantie est intrusive ou étendue, plus il est nécessaire de démontrer qu’elle vise à enrayer un mal important et surtout que les limites imposées sont proportionnées aux maux que l’on cherche à combattre.

Deux libertés protégées

 

Nos lois protègent la liberté d’expression autant que la liberté de religion. Les tribunaux ont maintes fois indiqué qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les libertés fondamentales. Juridiquement, l’une n’est pas moins digne de respect que l’autre. L’État ne peut les restreindre, sauf si les limites imposées sont raisonnables et peuvent se justifier dans une société démocratique.

Malgré leur égalité de principe, force est de constater que les restrictions à la liberté de religion et à la liberté d’expression n’engendrent pas les mêmes niveaux de réprobation dans les débats publics. La loi québécoise soulève beaucoup de réprobation. Le règlement ontarien d’interdiction généralisée du téléphone portable en classe ne semble mériter que quelques haussements d’épaules. Mais cela n’en fait pas pour autant une restriction valide aux libertés expressives.
 

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