Le déclin des hommes à poigne

Dire que les temps sont durs pour les despotes orientaux et les populistes occidentaux est peut-être exagéré. Mais cet été, sous plusieurs latitudes, la marche apparemment irrésistible des hommes forts au verbe haut, se réclamant du peuple contre les technocrates, contre les internationalistes sans âme et les « mains noires » de l’étranger, a rencontré quelques résistances et déconvenues.

À Londres, l’homme du Brexit, Boris Johnson, essuie des désaveux publics à répétition, au Parlement, dans la rue, dans son propre parti et jusque dans sa famille. À Rome, l’habile Matteo Salvini, qui depuis 18 mois surfait sur l’exaspération anti-immigration des Italiens et une aura d’invincibilité, a été expulsé du pouvoir par plus malin que lui. Au Brésil, les outrances du président Bolsonaro lui ont amené, selon les derniers sondages, deux fois plus d’ennemis politiques que d’amis.

Et puis, sous des cieux moins démocratiques, le président Erdogan de Turquie se fait arracher la mairie d’Istanbul, après avoir voulu faire annuler l’élection d’un adversaire. Xi Jinping le « tout-puissant », devant qui les trois quarts du monde font génuflexion, ne sait que faire de la révolte démocratique hongkongaise. Sans parler des régimes d’Algérie et du Soudan, bousculés dans leurs fondements depuis plus de six mois…

 

Vladimir Poutine lui aussi, au crépuscule d’un long règne personnel, voit les nuages se multiplier à l’horizon.

Tout l’été, en particulier dans la capitale, un mouvement de protestation a mobilisé des représentants de la classe moyenne libérale, avec des manifestations importantes. Non pas de dimensions « catalanes » ou « hongkongaises »… mais tout de même, des dizaines de milliers de personnes, tous les week-ends de l’été, ont réclamé des élections locales libres.

La brutale réponse des autorités — des milliers d’interpellations et plusieurs condamnations — trahit la nervosité qu’inspire ce mouvement aux dirigeants russes.

Si la Russie de 2019 se résumait aux grandes villes et aux populations de l’ouest du pays, on pourrait d’ores et déjà parler d’un pouvoir menacé, peut-être d’une fin de régime. Mais Moscou et Saint-Pétersbourg ne sont pas toute la Russie.

Pour autant, comme il s’agit d’élections locales, une alternance démocratique au pouvoir n’est plus inconcevable à certains endroits — pour peu qu’on laisse la liberté des candidatures et qu’on compte régulièrement les voix.

À Moscou, à Saint-Pétersbourg, une jeunesse branchée, motivée, ouverte sur le monde, est proprement écoeurée de la « verticale du pouvoir » poutinienne. Un système où tout vient d’en haut, où les officiels locaux sont inféodés au Kremlin, où la justice, les forces de l’ordre et les autorités électorales sont politiquement alignées.

C’est justement l’interdiction, cet été, de candidatures jugées dangereuses pour le régime, qui a déclenché la vague actuelle de protestations. Alexeï Navalny est un exemple de ces opposants dont l’audience populaire locale est à même de susciter assez de peur en haut lieu pour qu’on décide de leur bloquer la route, par une interdiction arbitraire de candidature.

 

Un des signes, cependant, qu’à Moscou la peur commence peut-être à changer de camp, c’est qu’à certains endroits, des candidats pro-Kremlin (à des mairies ou à des postes de conseillers), pour qui le label « Russie unie » (le parti pro-Poutine au pouvoir) était jusqu’à récemment le passeport pour une élection automatique… cachent désormais cette étiquette !

Un des jeux populaires en ligne consistait, ces dernières semaines, à démasquer les candidats prétendument « indépendants » qui ont caché, par honte ou par souci tactique, leur véritable affiliation.

Autre signe d’un pouvoir qui n’a plus la cohésion de naguère : le caractère variable — selon les endroits et les instances — des verdicts de justice qui, ces derniers jours, ont suivi les milliers d’arrestations menées au cours de l’été pour « émeutes massives » : pour un même délit et dans des circonstances identiques, on a lourdement condamné ici, puis acquitté là…

Ainsi va la Russie de 2019, qui ballotte, hésite, manifeste et réprime… Comme d’autres leaders à poigne dans le monde, Vladimir Poutine a perdu de sa superbe, alors que son départ, même encore lointain (2024), ne quitte plus l’horizon.

François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada.

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