La rentrée culturelle en miroir du temps

Le milieu des arts et lettres prend la flotte. Cette semaine, la lettre ouverte « Notre culture est menacée à haute vitesse » publiée dans Le Devoir lançait un cri strident. Plusieurs auteurs, artistes, dirigeants de temples et de rendez-vous culturels, étouffés par le numérique, qui prive les créateurs de redevances et de micros, protestaient à juste titre contre leur secteur sans garde-fous.

Nos politiques culturelles sont inadaptées à l’environnement virtuel qui nous baigne. Des coups de barre s’imposent en haut lieu. Vrai. Reste aussi à se réinventer et à durer. Pour l’heure, l’offre artistique demeure très riche. En quête de public, mais toujours foisonnante. Jusqu’à quand ? Ça…

Le menu des oeuvres québécoises en cette rentrée culturelle donne envie d’évaluer l’état des lieux. Qu’y a-t-il de changé ou d’inamovible ? Le profil des prochaines propositions culturelles dans les arts d’interprétation au Québec n’apparaît ni lisse ni monochrome, chose certaine.

Totale, la révolution des thèmes et des plateformes ? Pas si simple ! Car comment avancer sans retour en arrière ? Effet de paradoxe, la prochaine saison, la littérature fécondera sérieusement d’autres arts, parfois à coups de romans et de pièces du passé. Preuve que les grandes muses aux voiles usés n’ont pas perdu tous leurs charmes. D’autant moins quand les adaptations donnent au public l’envie de découvrir les oeuvres à leur source. La roue tourne dans les deux sens.

Signe de nos angoisses existentielles : l’atterrissage du roman dystopique culte Le meilleur des mondes du Britannique Aldous Huxley sur les planches du Théâtre Denise-Pelletier, avec mise en scène de Frédéric Blanchette. Huxley, aux côtés de son compatriote George Orwell, était au cours de la première partie du XXe siècle un des grands prophètes de nos sociétés futuristes, dont ils prévoyaient la manipulation des esprits par la technologie des pouvoirs dominants. Sa voix résonne aujourd’hui mieux que jamais.

Notre septième art s’abreuve aux mêmes courants littéraires. Lui, souvent abonné aux scénarios de crises de vie plutôt noires dont le public se distancie, offre cette année plusieurs adaptations au féminin. Futurs succès, qui sait ? Du moins auront-elles poussé sur une bonne terre…

Que le roman de poésie sauvage Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier soit porté à l’écran par Louise Archambault montre à quel point la littérature retrouve ses lettres de noblesse. Idem pour le mélancolique et poignant La rivière sans repos, blues de Kuujjuaq signé Gabrielle Roy, réalisé par Marie-Hélène Cousineau et Madeline Ivalu. L’Antigone de Sophie Deraspe se réapproprie la pièce de Sophocle sur quête immortelle d’une adolescente révoltée. Kuessipan, de Myriam Verreault, puise son action dans une communauté innue, sous le souffle du roman de Naomi Fontaine. Les cultures s’interpénètrent.

L’approche de l’autre

De fait, la diversité prendra ses aises ces prochains mois. Les politiques institutionnelles d’inclusion ont porté leurs fruits. Exit, le temps où les Québécois se voyaient reprocher le repli sur soi en toute blancheur. Le secteur de la danse se métissait déjà. Suffit partout, en somme, de maintenir des zones d’équilibre.

Au théâtre, l’approche de l’autre a plusieurs échos. Si la majorité francophone conserve ses voix de quête identitaire, elle se retrouve moins seule en piste. Le thème des réfugiés devient récurrent. Ainsi, à travers Migraaaants du Franco-Roumain Matéi Visniec, montée au Prospero intime par Margarita Herrera. Ou par ce retour de L’Énéide d’Olivier Kemeid à Montréal, pièce créée en 2007, dont l’histoire de boat people reprendra vie sur les planches du Quat’Sous. Au théâtre La Chapelle, on attend des spectacles solos signés Stéphane Crête, Natasha Kanapé Fontaine et Mani Soleymanlou.

La quête de diversité devient si populaire que des auteures noires, éternelles oubliées, prendront enfin la parole sur nos planches. Telle la Française Marie NDiaye à travers Les serpents, mise en scène à Espace Go, ou l’Afro-Américaine Lorraine Hansberry, dont la pièce Héritage prendra l’affiche chez Duceppe.

Au cinéma : 14 jours, 12 nuits de Jean-Philippe Duval se déroulera au Vietnam, Apapacho. Une caresse pour l’âme de Marquise Lepage, au Mexique, Sympathie pour le diable de Guillaume de Fontenay, à Sarajevo.

Les artistes québécois s’ouvrent davantage au monde qu’hier. Sans cesser d’interroger leur reflet pour autant. Saisir les enjeux planétaires aide à s’ajuster aux révolutions sans frontières. Ce qui n’empêche pas de revisiter les oeuvres littéraires fortement enracinées ni de s’interroger sur la place de l’identité et de la langue nationale à pleins spectacles. Tout peut se mêler à son contraire. C’est d’un maximum de fragments divers que naissent, dit-on, les plus belles mosaïques…



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