Changements climatiques: bientôt trop tard

Greta Thunberg est sur un voilier au beau milieu de l’Atlantique, en route vers une conférence à New York. Depuis déjà un an, Greta fait la grève de l’école chaque vendredi afin de dénoncer l’urgence climatique. Des millions de personnes à travers le monde lui ont emboîté le pas, et un mouvement entier scande désormais avec elle : « Nous n’avons plus beaucoup de temps ; bientôt, très bientôt, il sera trop tard. »

Greta est une jeune fille d’un pays nordique où il fait bon vivre. Greta pourrait très bien aller à l’école, faire sa vie, profiter du confort qui l’entoure. Or, Greta s’intéresse à la science, et fait écho aux experts qui nous disent que bientôt, très bientôt, il ne fera plus aussi bon vivre. Il faut changer notre mode de vie maintenant si l’on veut que la planète se porte bien. Et nous, nous aimons écouter Greta, qui nous ressemble, au fond. Greta pourrait être une ado du quartier.

Greta nous dit que le changement est urgent. Nous voulons la croire. Nous la croyons. Mais souvent, on oublie qu’on la croit. C’est que dans le quotidien, autour de nous, comme autour de Greta, le confort est si présent. La menace, on la comprend avec notre tête. Mais notre corps ressent-il le danger ? Notre instinct de survie est-il enclenché ? A-t-on sincèrement l’impression, dans notre vie en Europe comme au Canada, de sombrer dans le gouffre ?

Non, tout va encore bien. Mais bientôt, très bientôt, on ressentira l’impact des changements. Pas qu’avec des canicules plus intenses et des hivers étranges, mais avec ce qui pourrait bien prendre les allures d’une apocalypse. Des villes entières sous la mer. Des réfugiés partout, des civilisations brisées, des guerres. Bientôt. Donc, il faut faire la grève maintenant. Il est urgent d’agir.

Greta pointe du doigt l’Amazonie. C’est inquiétant, ce qui se passe en Amazonie. Depuis l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil l’an dernier, la déforestation s’est accélérée de manière radicale. Bientôt, nous disent les scientifiques, ce qui reste de la forêt pourrait bien se dégrader en savane. Pour le « poumon de la planète », il sera bientôt trop tard.

Bien sûr, les Autochtones d’Amazonie, eux, ont une perspective différente. Au fil des siècles, une superficie étourdissante de territoire traditionnel est méconnaissable. Les braconniers — légaux ou pas, qu’est-ce que ça change — ont pollué les rivières. De nombreuses cultures en sont bouleversées. Des langues se perdent.

Vous savez, les films américains post-apocalyptiques, où quelques survivants cherchent à se défendre contre des menaces obscures dans une grande ville en ruine ? Pour bien des Autochtones de l’Amazonie, c’est déjà la réalité. Là-bas, on ne dit pas bientôt. On dit déjà trop tard. L’apocalypse est déjà passée. On se bat pour que celles et ceux qui y ont survécu n’y passent pas aussi. On se bat avec l’énergie du désespoir. On se sait en danger.

Greta pointe du doigt le Sahara. C’est inquiétant, la désertification qui s’accélère. Déjà, des peuples entiers n’arrivent plus à vivre des récoltes, et il n’y a plus de pâturage pour les troupeaux. Sept des dix plus grands camps de réfugiés du monde sont en Afrique. Les gens fuient la faim et le manque de ressources, et aussi beaucoup les guerres. Et les guerres, au fond, bien souvent, elles sont pour les ressources. La région du Sahel est déjà profondément déstabilisée. C’est la jeunesse de ces pays-là qui, trop souvent, risque sa vie dans la Méditerranée, dans l’espoir de rejoindre une Europe pourtant fermée. L’énergie du désespoir, disait-on.

Au Bangladesh, c’est environ 700 000 personnes par année qui sont déplacées par les changements climatiques. Le niveau de la mer monte, et la population des côtes n’a d’autre choix que de se réfugier dans les bidonvilles de l’intérieur des terres. En Amérique centrale, la déforestation et la pollution par l’exploitation minière poussent bien des familles à l’exil vers le Mexique et l’Amérique du Nord.

Ici, nos activités économiques ont créé une myriade d’apocalypses pour les populations autochtones, depuis des siècles. En chassant le castor jusqu’à frôler l’extinction pour leur fourrure, on a éliminé leur rôle dans la régulation des rivières : l’eau est devenue stagnante près de plusieurs communautés, les maladies s’y sont multipliées. En chassant le bison jusqu’à leur fin, on a créé une famine, une crise de réfugiés et un déclin de population inouï. Avec les barrages électriques qui inondent des territoires entiers, les mines qui polluent les cours d’eau, et les pipelines qui traversent les forêts, on continue de déstabiliser des civilisations. Les Inuits nous le disent depuis longtemps : le Grand Nord est fragile, il n’est plus comme avant, il est méconnaissable.

La jeunesse de ces peuples-là sonne l’alarme depuis très, très longtemps. Mais on ne les a pas écoutés avant. Il a fallu que Greta apparaisse dans le portrait pour attirer notre attention. Même les plus progressistes d’entre nous se tournent vers Greta et les scientifiques qui répètent : bientôt, très bientôt, il sera trop tard.

Trop tard pour qui ? Trop tard pour nous. Oui, même pour nous. Alors, les choses seront graves.

Le truc avec la planète, c’est qu’il n’y en a qu’une. Si l’on attend que nous, nous ressentions le danger ; si on se donne comme objectif mondial d’éviter que la Terre se dégrade au point qu’il soit un jour trop tard même pour nous — nous aurons inévitablement agi trop tard pour tous. Si on n’écoute que les jeunes qui pourraient venir du quartier, on continuera à sous-estimer grandement l’impact de notre économie sur la planète et ses populations humaines.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo