Sainte Greta

S’adresser à l’Assemblée nationale française n’est pas un mince privilège. Au Québec, seul René Lévesque a eu cet honneur. Au Canada, Justin Trudeau y a récemment été entendu. Pour être invité, il faut généralement être un chef d’État ou de gouvernement avec qui la France a des relations stratégiques. Seuls deux présidents américains ont eu cette chance : Woodrow Wilson et Bill Clinton.

Pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, mardi prochain l’Assemblée nationale française recevra une enfant de 16 ans. Celle-ci s’adressera aux députés à l’occasion d’un débat de plus d’une heure et demie. On aura reconnu la jeune égérie écolo Greta Thunberg. Après Katowice, Davos et Londres, ce passage à Paris ne sera qu’une étape de la véritable tournée de rock star que mène cette pasionaria du climat, avant de participer au sommet mondial de l’ONU en septembre.

Que Greta Thunberg soit devenue la figure emblématique des élèves suédois qui se préoccupent du climat, on peut le comprendre. Elle ne sera pas la première lycéenne à prendre la tête d’un mouvement spontané. Mais que pourra donc apprendre cette militante en nattes et en baskets aux élus français et aux spécialistes du climat réunis à l’Assemblée nationale, eux qui en savent beaucoup plus long qu’elle sur le sujet ?

« Aucun pays ne fait assez pour le climat. » « Notre maison brûle. » Voilà le genre de formules dont est émaillé l’entretien exclusif qu’elle a accordé à Libération la semaine dernière. Le journal, qui est allé (en train !) rencontrer la jeune fille à Stockholm, qualifie d’ailleurs lui-même ses réponses de « punchlines simples ». Même s’il ajoute qu’elles ne manquent pas d’efficacité pour médiatiser une pensée complexe.

Depuis que le nom de la jeune fille a fait le tour du monde, nombreux sont ceux qui se demandent s’il est justifié d’utiliser ainsi une enfant de 16 ans pour faire la propagande d’une cause politique, fût-elle la meilleure du monde. D’autant plus que cette jeune fille est atteinte d’une forme d’autisme appelée syndrome d'Asperger. Il y a en effet quelque chose d’inquiétant dans ce jeunisme ambiant qui utilise des enfants au profit de causes qui les dépassent et auxquelles ils n’ont pas toujours le discernement pour adhérer en toute indépendance.

Plusieurs se sont donc inquiétés qu’une jeune entreprise suédoise fondée par Ingmar Rentzhog ait utilisé le nom de Greta Thunberg pour une campagne de financement. On souligne aussi que ses parents ne sont pas des néophytes dans le monde des médias. Ce sont eux qui auraient rédigé la biographie de la jeune égérie (Scenes from the Heart), opportunément lancée alors même que commençaient les grèves étudiantes. Une idée du militant écologiste Bo Thorén, inspiré par la grève des étudiants de Parkland, en Floride, après la fusillade survenue l’an dernier.

« Il n’y a personne derrière moi, sauf moi-même », répète pourtant la jeune fille, qui va jusqu’à revendiquer son autisme, qui, dit-elle, lui permet de… voir le monde « différemment » !

Greta Thunberg serait-elle devenue le rouage d’une machine médiatique qui la dépasse ? C’est possible. Pourtant, l’engouement que suscitent ses déplacements fait plus penser à ces grands phénomènes de piété populaire qui se déclenchent spontanément autour d’une figure emblématique qu’à une sombre manipulation médiatique.

Il y a en effet quelque chose de mystique dans ce regard virginal et cette façon simple de dire les choses. Ceux qui l’ont approchée semblent évoquer une forme de magnétisme, comme s’ils avaient été touchés par la grâce. D’ailleurs, Greta Thunberg ne nous annonce-t-elle pas l’Apocalypse, comme tant de jeunes filles inspirées avant elle, de Thérèse de Lisieux à Bernadette Soubirous ? Au lieu de réciter le chapelet, elle répète des formules simples qui n’ont rien à envier aux litanies d’autrefois. Une sorte de bénédicité écologique, en quelque sorte, où Gaïa aurait détrôné le Saint-Esprit.

« En l’absence désormais de religions, l’écologie est devenue la seule religion partagée et conquérante, d’abord dans la jeunesse, rappelle la philosophe Chantal Delsol. Comme toutes les religions elle a ses clercs, ses prières, ses dogmes, ses grands-messes, ses grands mensonges qui fonctionnent très bien […] et son intolérance rituelle (on ne discute pas avec des climatosceptiques : on les injurie). »

De là à sombrer dans le monde binaire de la deep ecology, il n’y a qu’un pas. On ne se surprendra pas que Greta Thunberg ne fasse pas dans la nuance et qu’elle adresse, par exemple, le même message aux présidents français et américain. Comme s’il n’y avait pas deux pays plus différents que la France et les États-Unis en matière de lutte contre les gaz à effet de serre.

Malraux nous avait annoncé un XXIe siècle religieux. L’histoire de notre monde est pleine de ces grandes mystiques, généralement des jeunes filles au regard immaculé, venues annoncer au monde que seules les âmes pures seront sauvées. Cela ne signifie pas qu’elles ont tort, mais que le ressort de leur action a plus à voir avec l’émotion qu’avec la raison, avec la religion qu’avec la science.

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