L’art de corriger

Je n’écris jamais une chronique sans consulter mes dictionnaires au moins vingt fois. Je travaille, principalement, avec Le Petit Robert, pour vérifier le sens exact des mots et pour trouver des synonymes, et avec le Multi, pour tout le reste : orthographe, accords, calques, etc.

Je suis plutôt zélé en la matière. J’écris d’abord mes chroniques à la main, en me souciant de la qualité de la langue. Parfois, quand une formulation m’embête, j’appelle à l’aide Amélie Gaudreau, sympathique coordonnatrice à la rédaction du Devoir versée en grammaire. Ensuite, je tape mes textes en les révisant, avant de les soumettre à Antidote. Enfin, je les imprime, pour les corriger une dernière fois. Comme l’écrit Éric-Emmanuel Schmitt, « l’orthographe, c’est comme la propreté, une question de respect de l’autre ». Aussi, je m’applique.

Est-ce suffisant ? Non. Je compte donc, pour la révision finale, sur les correctrices du Devoir. Elles s’appellent Christine Dumazet, Michèle Malenfant, Andréanne Bédard, Isabelle Dowd, Nadia Morin et Fleur Neesham. Vous ne voyez pas leur nom dans le journal, mais, sans elles, pourtant, Le Devoir et ses journalistes perdraient une partie de leur lustre.

Orfèvres de la langue, ces correctrices traquent nos fautes linguistiques, nos incohérences textuelles et nos erreurs factuelles, se faisant ainsi les précieuses gardiennes de la qualité de nos textes. « Comme celui de la femme de ménage, écrit Muriel Gilbert, le travail du correcteur, transparent, ne se remarque que lorsqu’il est mal fait. C’est l’un des aspects un poil frustrants du métier. Et pourtant, sans elle, la maison est invivable ; sans lui, le journal n’en est plus un. »

Les fautes qui choquent

 

Correctrice au journal Le Monde, Muriel Gilbert présente finement les plaisirs et les aléas de son métier dans Au bonheur des fautes, un réjouissant témoignage qui vient de paraître en poche (Points, 2019, 264 pages). « Être attachant et pénible, maniaque et fantaisiste, érudit et roublard, chien truffier en quête de fautes, femme de ménage astiqueuse de vocabulaire et médecin spécialiste des accords désaccordés », la correctrice, écrit-elle, est une « obsédée de lecture » — elle lit tout : affiches, étiquettes alimentaires, dépliants, journaux, revues et livres — et de correction de la langue.

Qu’on n’aille pas croire, précise toutefois Gilbert, que la correctrice s’érige en tyran grammatical dans toutes les circonstances. Ce ne sont pas, en effet, toutes les fautes qui l’énervent. Attendrie par les fautes « commises en amateur » — quand on aime corriger les fautes des autres, il faut bien accepter qu’ils en fassent —, Gilbert admet toutefois qu’elle souffre « d’une tolérance proche de zéro face aux fautes imprimées dans les livres, sur les panneaux, les plaques de rue et dans les journaux ».

Comme celui de la femme de ménage, le travail du correcteur, transparent, ne se remarque que lorsqu’il est mal fait. C’est l’un des aspects un poil frustrants du métier. Et pourtant, sans elle, la maison est invivable ; sans lui, le journal n’en est plus un. Il suffit pour s’en convaincre de se pencher sur les publications qui ont décidé de se passer de correcteurs. Et de même qu’il ne viendrait pas à l’esprit de la femme de ménage la plus surdimensionnée de l’ego de signer le décrassage méritoire d’un frigo, il serait étrange que le correcteur signe son oeuvre, non ? 

Bien consciente que personne ne peut tout savoir en matière de langue, Gilbert s’amuse même des fautes, qui sont toujours une occasion de découvrir ou de revoir des règles, mais elle se scandalise, avec raison, de la négligence linguistique dans la presse, dans les livres, sur les enseignes commerciales et dans les communications gouvernementales.

Maîtriser la langue n’est pas une sinécure. Comme le disait le romancier Michel Butor, que Gilbert cite en exergue, « on n’a jamais fini d’apprendre le français ». Une enquête menée en 2016 concluait que les Français maîtrisaient 43,25 % des règles. Soyons généreux en imaginant que les Québécois font aussi bien. Les journalistes, quant à eux, sont certes meilleurs que la moyenne de la population, note Gilbert, mais, « par rapport à la moyenne des dictionnaires… disons qu’ils ont la générosité de laisser du travail aux correcteurs ».

Besoin d’aide

Qui, en effet, même chez les gens de lettres, peut se targuer de maîtriser la règle de l’accord du participe passé dans toutes ses nuances ? Comment, par exemple, accorder le participe dans la phrase « la chanteuse que j’ai entendu(e) applaudir » ? Ça dépend du sens : applaudit-elle ou est-elle applaudie ? Qu’en est-il, de même, des embêtants accords en genre ? Allez voir la règle des accords avec « gens » pour vous divertir. Comment ponctuer adéquatement un texte, enfin, s’il est vrai que, comme le dit un spécialiste britannique de la question, la ponctuation « est régie pour deux tiers par la règle et pour un tiers par le goût » ?

J’aime le français et je l’enseigne. Je trouve que ses difficultés et ses bizarreries concourent à sa richesse. Les ultimes gardiennes de cette dernière sont les correctrices, qui travaillent modestement dans l’ombre. Quand j’écris des livres, je compte sur l’une d’elles, Marie-Hélène Sarrasin, pour revoir ma prose. Quand j’écris des chroniques, je sais que celles du Devoir me reliront. J’en ai besoin. Je tenais à le dire, pour leur rendre hommage.

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