Notre septième art dans le collimateur
Le cinéma québécois fait beaucoup causer ces derniers temps, et pas toujours pour chanter ses mérites en choeur. La récente crise à Téléfilm Canada, avec le renvoi de trois directeurs qui avaient entamé le prochain budget des oeuvres francophones, éclairait le problème du sous-financement de nos films. Et ce, à l’heure où plus de projets que jamais atterrissent chez les bailleurs de fonds. Producteurs et cinéastes repartent souvent leur rêve de tournage sous le bras, en pestant contre les institutions, dont la SODEC, versant Québec, qui a recalé leur film au dernier dépôt.
Remarquez, si notre cinématographie se portait à merveille, les grognements auraient moins d’échos, mais des choix font tiquer. Au dernier gala de Québec Cinéma, les plaisanteries des animatrices soulignant lourdement l’ennui qu’exhale notre septième art ne faisaient qu’accroître le fossé entre le grand public et ses films maison ; invitant ce faisant par l’absurde les spectateurs à changer de chaîne.
De fait, les Québécois fréquentent bien peu leur cinéma, à l’exception de quelques oeuvres plus accessibles, de facto lauréates des grands prix Iris de l’année : 1991 de Ricardo Trogi et La Bolduc de François Bouvier. Sinon, des thèmes traités jusqu’à plus soif, dont la quête d’identité (miroir d’une aliénation collective), lassent et dépriment bien des spectateurs. Et ce, même devant les bijoux du genre.
Reste que, chéris ou pas au foyer, les films québécois nous font honneur dans les festivals étrangers, encore en 2019 à la Berlinale et à Cannes. Ne financer que les oeuvres à vocation populaire, hilarantes ou divertissantes, serait renoncer à un rayonnement international sans prix. Tant de considérations entrent en jeu avant d’appuyer un projet…
Souhaitons quand même aux scénaristes de s’éclater davantage dans l’imagination et la fantaisie, en multipliant aussi les adaptations littéraires. À tout prendre, notre milieu théâtral apparaît plus créatif et mieux arrimé aux grandes oeuvres universelles que celui du septième art, au répertoire de lamento.
À la SODEC, on déclare avancer vers plus de diversité des genres cinématographiques. « Mais les deux tiers des projets demeurent des drames, souligne sa présidente, Louise Lantagne. Il nous faut tenir compte de l’offre aussi… » Retour à l’inspiration des scénaristes à ne pas brimer plus que la rime du poète. Rien n’est simple !
Lundi dernier, la lettre d’une coalition de sept producteurs, publiée dans La Presse, écorchait la SODEC en remettant en cause ses choix, son administration, ses méthodes jugées arbitraires dans l’attribution des précieuses enveloppes. Assez pour faire crier « Woh ! » à Louise Lantagne, qui dénonçait au Devoir l’emploi de termes injurieux dans cette missive : « effondrement culturel, collusion, dérive de gouvernance ». Halte-là !
Déniant toute collusion avec les gros producteurs québécois, elle assure qu’elle et sa directrice du cinéma et de la production télévisuelle Johanne Larue demeurent en dialogue constant avec les membres de l’industrie en pleine transparence. « Parlons-nous, parlons-nous », répètent-elles au milieu nerveux et souvent malheureux qui, à force d’encaisser maints refus, montre les dents.
Avec un budget accru depuis quatre ans, l’institution québécoise ne finance pas davantage de films qu’autrefois, préférant mieux accompagner les élus. Sa présidente entend pousser la diffusion des oeuvres nationales au grand écran, en région surtout, problème récurrent depuis tant d’années, et avant son règne, qu’on se demande où ça bloque : « Ça les aiderait à être vus… »
Chose certaine : en période de turbulences, les liens de confiance entre les institutions et le milieu doivent être raffermis, les ambiguïtés effacées. Je suis allée manger cette semaine avec l’écrivain et scénariste Pierre Billon, qui a envoyé à la ministre de la Culture Nathalie Roy un mémoire sur le devoir de non-ingérence de l’État en matière culturelle. Il propose d’impliquer davantage d’analystes extérieurs afin d’éviter d’éventuelles dérives éthiques des fonctionnaires au sein des institutions.
À la SODEC, on me répond que seuls les membres de comités internes peuvent rencontrer les équipes de films pour discuter des décisions rendues. Ainsi, les projets au budget inférieur à 2,5 millions, évalués cette année hors du cénacle institutionnel, ne sont plus assortis d’un face-à-face explicatif, baume d’humanité. Ce qui fait hurler. Le processus pourrait se voir réévalué par la SODEC, mais en recadrant les analyses davantage en interne, avec moins de garde-fous. Tout est complexe.
Chose certaine, plusieurs propositions du milieu souvent pertinentes en matière d’analyse et de financement méritent d’être évaluées. Alors oui, parlez-vous ! On se prend à songer avec un brin d’optimisme que les passions soulevées par notre cinéma sont autant de raisons d’espérer…