L’urgence pragmatique

Le parrain du Pacte pour la transition, Dominic Champagne, a déclaré samedi que le premier ministre Legault avait un « rôle historique » à jouer, dans la mesure où il risque d’être au pouvoir pendant une bonne partie, voire la totalité des 10 à 12 ans que les scientifiques accordent encore à l’humanité pour éviter la catastrophe.

Dimanche, le metteur en scène s’est dit satisfait du discours de M. Legault et du vaste chantier d’électrification qu’il entendait ouvrir pour libérer le Québec de sa dépendance au pétrole. Pour la première fois, a-t-il dit, le premier ministre lui a paru à la fois convaincu et convaincant. On ne demande qu’à le croire.

Certaines expressions laissent néanmoins perplexe. René Lévesque déconcertait ses interlocuteurs quand il déclarait : « C’est relativement essentiel ». De la même façon, quand M. Legault dit ressentir une « urgence pragmatique », cela semble vouloir dire que la lutte contre les changements climatiques doit s’effacer devant certains impératifs économiques, comme la construction d’un gazoduc, ou encore politiques, comme la création d’un « troisième lien » entre Québec et Lévis.

Personne au conseil général de la CAQ n’a jugé utile de souligner cette impossibilité d’être à la fois essentiel et relatif. Au PQ, M. Lévesque devait composer avec une base militante qui ne manquait pas de lui rappeler, parfois très durement, ce qu’était l’essentiel, s’il avait le malheur de l’oublier. L’actuel premier ministre n’a pas cette obligation. Le PQ était une création de René Lévesque, mais la CAQ est la créature de François Legault.


 

À l’ouverture d’un conseil national du PQ, la présidente d’assemblée n’aurait jamais osé aviser les militants qu’ils devaient se contenter d’approuver une série d’« énoncés généraux » qui laissaient le champ entièrement libre au gouvernement. Si on excepte la poignée de climatosceptiques qui ne voyaient pas pourquoi la CAQ s’intéresserait soudainement à l’environnement, sinon sous la pression du lobby vert, les participants au conseil général de la fin de semaine ont été d’une docilité exemplaire.

Une marge de manoeuvre aussi considérable fait reposer toute la responsabilité sur les épaules de M. Legault lui-même. En prenant sa carte de membre de la CAQ et en participant au conseil général, Dominic Champagne a donné de la crédibilité à son virage vert, mais il s’est assuré en retour du droit d’en faire le suivi et il n’y manquera sans doute pas.

Les adjoints du premier ministre s’étaient demandé quelle mouche l’avait piqué quand il s’était dit prêt à démissionner s’il ne tenait pas sa promesse concernant la maternelle 4 ans. Il sera cependant jugé bien davantage sur sa performance dans la lutte contre les changements climatiques. En sonnant la mobilisation générale, comme il l’a fait en fin de semaine, il s’est lui-même imposé une obligation de résultat.


 

Il est difficile de savoir dans quelle mesure M. Legault est personnellement convaincu de l’urgence de la situation. Pendant vingt ans, il a poursuivi sa carrière politique sans se préoccuper le moindrement de l’environnement, même s’il a bien compris que c’est devenu un enjeu incontournable pour quiconque prétend diriger le Québec.

Sa vision de la protection de l’environnement demeure d’ailleurs unidimensionnelle. Les changements climatiques constituent sans doute le plus grand danger, mais M. Legault n’a pas dit un seul mot de la destruction des écosystèmes due à la déforestation ou encore à l’étalement urbain, qui nécessiterait aussi une action urgente.

À défaut d’avoir développé une grande conscience écologique, le lien qu’il est possible d’établir entre l’environnement et les deux assises de sa pensée politique, soit le développement économique et le nationalisme, fait espérer qu’il sera à la hauteur du « rôle historique » que Dominic Champagne le voit jouer. Quand il était dans l’opposition, rien ne le désolait davantage que de voir le Québec au 57e rang sur les 61 états nord-américains pour le PIB par habitant. À l’opposé, rien ne semble lui faire plus plaisir que de pouvoir dire que « nous les sommes les meilleurs au monde ».

Quand il a évoqué pour la première fois son projet d’une « Baie James du XXIe siècle », Philippe Couillard n’était pas le seul à le juger passéiste, mais le soudain intérêt du maire de New York pour l’hydroélectricité québécoise tend à démontrer le contraire. Pendant des années, M. Legault a cru pouvoir rendre le Québec plus riche par l’indépendance. S’il pense maintenant pouvoir le faire en le transformant en « batterie verte », pourquoi pas ?



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