La marque parodiée

Le propos humoristique est en principe protégé par la liberté d’expression. Mais comme vient de le rappeler une décision de la Cour supérieure, le droit de parodier est limité non seulement par les lois qui protègent la réputation et la vie privée, mais aussi par celles qui protègent les marques de commerce. Une marque de commerce est un signe distinctif utilisé par une entreprise pour ses produits ou ses services. Aussitôt qu’il y a risque de créer de la confusion avec une marque commerciale, l’espace laissé à l’humour est très étroit.

Québecor poursuivait le dirigeant de la publication numérique satirique intitulée « Le Journal de Mourréal ».Celui-ci tenait également une page Facebook « Le Journal de Mourréal ». Québecor se plaignait de la similitude du graphisme et de la prononciation voisine du site « Journal de Mourréal » avec ceux du site du véritable Journal de Montréal. Selon elle, la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur à la vue du nom « Journal de Mourréal » est qu’il s’agit du Journal de Montréal.

Lors du procès, Québecor a déposé de nombreux courriels de lecteurs confondus par « Le Journal de Mourréal » et la journaliste Anne-Marie Dussault a témoigné sur les quiproquos engendrés par des nouvelles factices publiées à son sujet sur le site satirique. On a aussi fait valoir que la confusion est susceptible d’être amplifiée dans un contexte où les consommateurs consultent de plus en plus les sources d’informations sur leurs téléphones portables aux écrans plus petits que ceux des ordinateurs.

Un expert est venu expliquer que « Le Journal de Mourréal » utilise des photos en superposition sur le logo, tout comme Le Journal de Montréal. Les éléments de différenciation entre les deux titres soit les lettres NT et UR sont souvent masqués, de sorte que les logos ne présentent plus aucune différence au premier coup d’oeil.

Québecor a aussi fait valoir que, si les lecteurs peuvent facilement être amenés à confondre la publication humoristique avec la vraie, celle dont on se moque, il peut en découler des doutes sur la véracité des informations publiées par le véritable Journal de Montréal et ainsi causer un dommage à la marque. À une époque où l’on se plaint tant de la prolifération de fausses nouvelles, l’éditeur du Journal de Montréal a fait valoir que « le nom d’une source devient très important, car il rassure le lecteur quant à la fiabilité de l’information ».

De son côté, le responsable de la publication satirique « Le Journal de Mourréal » a soutenu devant le tribunal que « c’est le propre de la parodie de reprendre les éléments distinctifs de l’oeuvre parodiée […] » Il ajoutait que « le fait de parodier Le Journal de Montréal en utilisant les signes distinctifs de sa marque de commerce a déjà été utilisé antérieurement par d’autres humoristes […] ».

La loi n’entend pas à rire

Le tribunal a conclu qu’il y a eu atteinte à la marque de commerce du Journal de Montréal par l’emploi de la marque « Le Journal de Mourréal » dans le nom de domaine www.journaldemourréal.com et en copiant le logo du Journal de Montréal qui incorpore la marque enregistrée Le Journal de Montréal.

L’éditeur du site « Le Journal de Mourréal » a invoqué qu’il est admis que l’on peut parodier un journal. Cela relève de la liberté de critique protégée par la liberté d’expression et même reconnue dans la législation sur le droit d’auteur. La Loi sur le droit d’auteur prévoit en effet que l’utilisation équitable d’une oeuvre aux fins de parodie ou de satire ne constitue pas une violation du droit d’auteur. Toutefois, la Loi sur les marques de commerce ne prévoit pas de distinction entre la confusion générée à des fins strictement commerciales, par exemple pour s’emparer de la clientèle d’un concurrent, et celle qui découlerait d’une intention humoristique. Dès qu’il s’agit d’une marque de commerce, il n’y a pas d’exception protégeant la parodie ou la satire.

Tout ce qu’il faut démontrer pour obtenir que cesse l’usage non autorisé d’une marque de commerce est que cet usage, notamment en raison de la ressemblance avec la marque originale, est susceptible d’engendrer de la confusion auprès du lecteur. Dans son jugement, la juge va encore plus loin et écrit que, même selon les critères de la Loi sur le droit d’auteur, si ceux-ci avaient été applicables, le site humoristique ne se qualifie pas pour bénéficier de l’exception prévue à la législation sur le droit d’auteur.

Cette affaire a le mérite de rappeler la sévérité de la législation sur les marques de commerce. On peut se demander si la Loi sur les marques de commerce ne devrait pas prévoir des dispositions protégeant la parodie. Après tout, le droit de caricaturer les personnalités oeuvrant dans l’espace public est un ingrédient légitime du débat démocratique. Ce qui justifie que les marques de commerce soient ainsi protégées contre la caricature est le risque de confusion pouvant induire le public en erreur. La lutte contre les fausses nouvelles requiert-elle de mettre à ce point l’humour en liberté surveillée ?

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