Mais où va Téléfilm?

Le dimanche 2 juin (eh oui, c’est bien tard !), le Gala Québec Cinéma célébrera notre septième art et tous ceux qui l’ont porté à bout de bras au cours de la féconde dernière année. À l’heure où Téléfilm a en partie vidé la caisse dévolue au cinéma francophone, menaçant la production 2019-2020, ça va créer un drôle de climat sur la scène du studio 42 de Radio-Canada comme dans les foyers qui le capteront en ondes.

Par-delà le ronron des remerciements habituels, on attend, à moins d’un nouveau virage, des protestations et des hauts cris de la faune artistique, mais aussi l’expression de leur inquiétude.

Déjà que bien des cinéastes grondent en coulisses devant les impératifs de parité hommes-femmes à la barre des projets financés par Téléfilm et de représentation de minorités. Certains se sentent recalés d’office à tort ou à raison, leurs projets de film sous le bras. Avec ces problèmes d’enveloppes en français largement entamées, le proche avenir se ferme comme un bec.

Le cinéma, art et industrie, est également politique, et fragiliser au Canada celui des francophones, qui a besoin à la fois des subsides de Téléfilm et de son pendant québécois de la SODEC pour rouler, dessert l’organisme et nos concitoyens, en plus de couper les ailes à des créateurs d’avenir.

Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, y est allé toutefois d’une main bien leste. Comme le révélait La Presse mercredi, trois têtes sont tombées au sein de l’institution fédérale, dont celle de Michel Pradier, en poste depuis près de 20 ans. Ce directeur du financement et des projets avait annoncé le 17 avril dernier l’absence de fonds supplémentaires alloués cette année aux films francophones, hors d’une possible redistribution à travers divers programmes de Téléfilm. Trop de fonds avaient été puisés en 2018-2019 dans l’enveloppe francophone, débordant par surcroît sur la suivante. L’affaire était délicate, mais sortir pareil couperet fragilise l’industrie.

Roxane Girard, après une prolifique carrière dans le milieu, dirigeait depuis 2015 les relations d’affaires et les coproductions. Denis Pion était à la tête de l’administration et des services d’entreprise. Or, une certaine continuité au sein de l’équipe aide à naviguer dans les eaux complexes d’une industrie audiovisuelle en total bouleversement. Rappelons que la nouvelle directrice générale de Téléfilm, l’Ontarienne Christa Dickenson, n’occupe son siège que depuis un an.

 

Michel Pradier et Roxane Girard allaient s’envoler bientôt pour Cannes, réservations et carnets d’adresses garnis en poche, remplacés ad hoc par des directeurs intérimaires. On ne dira jamais assez à quel point des projets de coproductions amorcés au TIFF de Toronto, poursuivis au marché de la Berlinale, peaufinés à Cannes, puis à Venise sont des chantiers de longue haleine, commandant de maintenir le plus possible en exercice ceux qui les ont mis en branle. Trop de roulement est nocif en période de turbulences.

L’Association québécoise de la production médiatique, qui regroupe des producteurs du cinéma indépendant, de la télévision et du Web, s’indignait mercredi devant le congédiement de ces professionnels estimés, parlant de coeur et d’âme décapités chez Téléfilm. Elle n’a pas tort. Des ratés pouvaient se résorber à l’interne. Fallait-il brûler son champ ?

Tant d’anglophones envient notre septième art, capable de rayonner partout, de la Berlinale à Cannes en passant par la Mostra de Venise, les César et les Oscar, en plus de rejoindre davantage son public que celui du ROC.

Aux derniers Prix Écrans canadiens, cinq productions québécoises concouraient dans la convoitée section du meilleur long métrage, aucune en provenance des autres provinces ; situation triste et gênante pour les artisans de l’autre solitude.

L’usage du français en rempart a beaucoup aidé le cinéma québécois à se forger une industrie. Ajoutez un génie national hérité des beaux jours du direct ouvrant sur un vedettariat maison et des expertises techniciennes et artistiques davantage que scénaristiques, notre point faible. Les anglophones, on les en plaint, à l’ombre d’Hollywood, partagent une langue commune qui les noie dans le grand océan nord-américain, peinant à imposer acteurs et maîtres d’oeuvre, lesquels choisissent parfois de s’expatrier au sud pour irradier.

Longtemps, et de façon informelle sous poussée de directeurs souvent québécois, les enveloppes anglophones et francophones des longs métrages à Téléfilm avaient été kif-kif avant de passer à deux tiers-un tiers au profit des productions de langue anglaise, pour mieux respecter, il est vrai, le profil démographique canadien. Aujourd’hui, la part francophone commanderait d’être réévaluée à la hausse pour mieux épauler sa vigueur. Nullement de se voir ballottée de la sorte…

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