L’île verte

Pour bien des Québécois, l’Île-du-Prince-Édouard se résume aux plages ou au transit vers les Îles-de-la-Madeleine. Ceux qui ont l’âme plus canadienne se rappellent aussi que Charlottetown est le berceau de la Confédération.

Quand un ami de Québec m’a annoncé, il y a un mois, qu’il allait y faire campagne pour le Parti vert, je suis resté quelque peu perplexe, même si les sondages indiquaient qu’il avait une chance de former le premier gouvernement vert au Canada.

Soit, on y avait élu une femme première ministre près de dix ans avant le Québec et le premier ministre sortant était ouvertement homosexuel. Que cette minuscule province, qui produit le quart des pommes de terre du pays, puisse devenir la championne de la protection de l’environnement, c’était une autre histoire.

Le miracle ne s’est pas produit mardi. L’Île-du-Prince-Édouard a ajouté un autre gouvernement conservateur à une liste déjà longue, mais former l’opposition officielle avec 31 % des voix exprimées constitue une avancée historique pour les verts. En proportion, c’est comme s’ils avaient fait élire une quarantaine de députés à l’Assemblée nationale.

La popularité du chef du Parti vert, Peter Bevan-Baker, un dentiste d’origine écossaise, musicien à ses heures, y est sans doute pour beaucoup, mais cela n’aurait pas suffi s’il avait donné l’impression de diriger une bande d’idéalistes incapables de représenter une solution de remplacement responsable aux yeux de la population.

Il est impossible de prédire combien de temps durera le gouvernement minoritaire que dirigera le chef conservateur, Dennis King, mais M. Bevan-Baker n’a manifesté aucune intention de brusquer les choses, et les électeurs, qui ont rejeté une réforme du mode de scrutin pour la troisième fois, n’entendent assurément pas se laisser bousculer. Si révolution il doit y avoir, elle se fera en douceur.


 

Il suffit de jeter un coup d’oeil à sa plateforme électorale pour constater que, contrairement à l’image que projettent trop souvent les verts, il ne s’agit pas du parti d’une seule cause. On n’a pas davantage l’impression d’un recours à la pensée magique.

L’objectif est d’éliminer toute émission de GES d’ici 25 ans, ce que visent déjà la Suède ou la Californie, notamment au moyen d’une taxe sur le carbone dont les revenus seraient toutefois retournés directement aux contribuables. La transition vers une économie verte, notamment dans le très important secteur agricole, serait assurée par une série de programmes au caractère incitatif.

Le programme se veut aussi progressiste : salaire minimum à 15 $ en 2023, projet-pilote de revenu minimum garanti, logement social, abaissement de l’âge de voter à 16 ans, etc. La volonté d’améliorer l’accès à des services en français tranche agréablement avec ce qu’on a pu observer en Ontario et au Nouveau-Brunswick.

Un gouvernement vert n’en présenterait pas moins des « budgets financièrement responsables » et il n’y a aucun signe avant-coureur d’un bouleversement de la fiscalité qui traduirait un quelconque désir de « faire payer les riches ».


 

Le chef du Parti vert du Québec, Alex Tyrrell, s’est réjoui des résultats de l’élection à l’Île-du-Prince-Édouard, mais il est loin d’être évident que l’exemple sera contagieux. À l’élection du 1er octobre dernier, les verts n’ont recueilli que 1,68 % du vote, et la voix du PV n’a pratiquement aucun écho dans la population.

C’est Québec solidaire qui a réussi à canaliser la préoccupation grandissante pour l’environnement et les changements climatiques, particulièrement dans la jeune génération, même si le PQ s’était aussi doté d’un solide programme à ce chapitre.

Le contraste entre QS et le Parti vert de l’Île-du-Prince-Édouard est cependant frappant. Ce dernier ne remet aucunement en question le régime capitaliste. Alors que QS propose de « placer les entreprises oeuvrant dans le domaine de l’énergie sous contrôle public », il n’est pas question de nationalisation dans la plateforme du PV.

Si QS semble vouloir faire toutes les révolutions en même temps, M. Bevan-Baker croit au contraire que l’économie de marché peut favoriser le passage à une économie verte et son parti entend s’appuyer sur l’entreprise pour y parvenir.

Il ne semble pas non plus être du genre à lancer des ultimatums et à menacer de faire obstacle à toutes les initiatives du gouvernement si celui-ci ne présente pas un plan de lutte contre les changements climatiques qui lui convient. Quelle que soit la méthode, l’essentiel est que la population suive. À cet égard, l’île verte semble avoir une longueur d’avance.

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