Le coût des injures racistes

Lorsque les positions sont tranchées, les injures peuvent s’inviter dans les conversations. Le déroulement de discussions civilisées requiert une dose de retenue de la part des uns et des autres. Il est à cet égard utile de rappeler les règles applicables aux injures discriminatoires. Une décision rendue récemment par le Tribunal des droits de la personne condamne une femme qui vivait à Laval (au moment des faits reprochés) à payer une indemnité de 13 000 $ à ses anciens voisins, à qui elle a adressé des propos injurieux fondés sur leur origine ethnique. Une décision qui illustre la rigueur de la loi québécoise à l’égard des injures discriminatoires.

Propos outrageants

 

Le Tribunal a trouvé vexatoires et outrageantes les insultes lancées à répétition par la dame à l’endroit de ses voisins évoquant le fait qu’ils sont immigrants. Au nombre des propos et faits et gestes de la dame, le Tribunal cite une lettre que celle-ci leur a transmise qui déclarait notamment : « Je vous informe que nous sommes au Québec, et non pas dans le pays d’origine de vos parents qui ne parlent ni français ni anglais. Bien que vous habitiez tous ensemble, je comprends que vous agissez comme prête-nom pour ceux-ci. Si vos parents ne comprennent pas les lois au Québec, peut-être vaudrait-il mieux qu’ils retournent vivre dans leur pays. » Dans la même veine, il y a les propos mis en preuve où la défenderesse déclare à l’endroit de ses voisins : « Tu es laide, grosse, chinoise, t’es laide, criss de gang de malades… »

Le Tribunal réitère ce qu’avaient déjà exprimé plusieurs décisions judiciaires antérieures et réaffirme que de « telles paroles, qui déprécient l’origine ethnique d’une personne, portent atteinte à sa dignité » en véhiculant le message que sa valeur intrinsèque en tant qu’être humain est moins grande parce qu’elle appartient à une ethnie plutôt qu’à une autre.

Les juges ajoutent qu’« en dénigrant une personne en raison de son origine ethnique, […] de telles injures font échec à sa pleine intégration sociale. Elles favorisent aussi l’incompréhension mutuelle et la haine entre les différentes communautés qui composent la société québécoise ». Or, c’est justement le type de conduite que la Charte des droits et libertés de la personne vise à empêcher.

Le droit à l’égalité garantit à toute personne le droit de ne pas être dénigrée ou harcelée en raison de ses caractéristiques personnelles différentes de celles d’autres membres de la société. Le Tribunal rappelle que la Charte « […] vise à introduire des rapports civilisés entre les individus, fondés sur le respect des différences de chacun » et qu’elle interdit d’exprimer verbalement une insatisfaction ou un désaccord par rapport au comportement d’un tiers « sur la base des motifs interdits de discrimination qui correspondent à des caractéristiques personnelles n’ayant aucun lien avec la conduite reprochée ».

On considère qu’il y a du harcèlement lorsqu’une personne a « une conduite vexatoire ou non désirée qui a un effet négatif durable sur ses victimes lorsque les gestes ou les paroles sont répétés, ou en présence d’un seul acte dont la gravité produit des effets continus dans l’avenir ».

Le harcèlement racial peut se présenter sous différentes formes. Il peut par exemple résulter de remarques désobligeantes, « injures, insultes, voies de fait ou autres agressions, caricatures, graffitis et dommages causés à la propriété de la victime, ou aux lieux et objets mis à sa disposition ».

Évaluer le caractère abusif des propos

 

Afin d’établir si le comportement reproché est abusif au sens de la loi, les tribunaux examinent l’effet ressenti en considérant ce qui est perçu en se situant du point de vue d’une personne raisonnable appartenant au groupe visé par le propos.

Dans l’affaire dont il est ici question, il y a eu plusieurs épisodes d’injures, de harcèlement et de gestes agressifs. Lorsqu’ils sont intentionnels, les propos discriminatoires et les gestes de harcèlement peuvent donner lieu à une condamnation à payer non seulement des sommes afin de réparer les dommages, angoisses et détresse engendrés par les propos illicites, mais également une indemnité destinée à punir le comportement discriminatoire. Le Tribunal explique que ce type de punition est nécessaire, car « les propos racistes et xénophobes sont un frein à l’intégration et au déploiement par les personnes membres de communautés racialisées de leur plein potentiel. » De tels propos doivent être découragés.

Tous ceux qui prennent part à des débats sur des questions controversées ont intérêt à connaître les limites imposées à l’égard des propos portant sur les caractéristiques à l’égard desquelles la Charte des droits et libertés de la personne interdit de discriminer. Cela vaut pour les injures fondées sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale ou le handicap.

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