L’obsolescence programmée

L’action collective autorisée récemment contre Apple au sujet de problèmes de fonctionnement touchant certains appareils iPhone ravive le débat sur l’obsolescence programmée. Un débat alimenté par une impression persistante. Ce sentiment que la durée de vie des produits est aujourd’hui moins longue qu’elle semblait l’être autrefois. Qui ne se souvient pas du vénérable frigo de ses grands-parents qui semblait avoir vaillamment servi pendant des décennies ?

Nous vivons pourtant à une époque où on maîtrise plus que jamais de nouveaux matériaux, où la consommation d’énergie est optimisée, où la plupart des composantes des objets complexes sont traçables… Comment se fait-il que toutes ces avancées ne permettent pas de proposer des objets durables et plus solides que jamais ?

On finit par penser qu’un tel écart entre les perfectionnements techniques et la durée de vie trop brève du produit serait le résultat d’une décision du fabricant afin d’amener les consommateurs à remplacer plus vite le produit. Des lois traitent déjà de certains types d’obsolescence prématurée des produits. Faut-il aller plus loin ?

Au Québec

 

Les articles 38 et 39 de la Loi sur la protection du consommateur concernent certains types d’obsolescence prématurée. L’article 38 prévoit qu’« un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien ». D’autre part, l’article 39 précise que : « Si un bien qui fait l’objet d’un contrat est de nature à nécessiter un travail d’entretien, les pièces de rechange et les services de réparation doivent être disponibles pendant une durée raisonnable après la formation du contrat. » Le commerçant ou le fabricant peut toutefois se dégager de cette obligation « en avertissant le consommateur par écrit, avant la formation du contrat, qu’il ne fournit pas de pièce de rechange ou de service de réparation».

En France

 

La loi française vise directement l’obsolescence programmée. L’article L.213-4-1 du Code de la consommation interdit « la pratique de l’obsolescence programmée, qui se définit par le recours à des techniques par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie pour en augmenter le taux de remplacement ». La définition de la loi française englobe les pratiques à la fois techniques et commerciales. Car il y a plusieurs formes d’obsolescence, qui n’impliquent pas nécessairement des enjeux identiques.

Plusieurs obsolescences

 

L’une des formes les plus anciennes est l’obsolescence esthétique, celle qui fait que certains produits subissent une obsolescence subjective. La mode, les critères de beauté et d’élégance peuvent évoluer rapidement à tel point que des objets peuvent perdre leur valeur parce qu’ils ne sont plus au goût du jour. Certains biens deviennent obsolètes même s’ils sont fonctionnels du fait que les produits associés ne sont plus disponibles sur le marché. On parle alors d’obsolescence indirecte. Par exemple, certaines imprimantes deviennent de facto obsolètes lorsque le fabricant cesse de produire les cartouches d’encre compatibles.

La technologie a rendu possible une autre forme d’obsolescence. On peut la désigner comme de l’obsolescence par notification. Le produit est conçu de manière à ce qu’il puisse signaler à l’utilisateur qu’il est nécessaire de le réparer ou de le remplacer. Il existe des imprimantes qui avertissent l’utilisateur que les cartouches d’encre sont vides alors que ces dernières ne le sont pas.

On peut aussi relever les pratiques d’obsolescence par incompatibilité. Le fabricant rend un produit inutile par le fait qu’il n’est plus compatible avec les versions ultérieures. Par exemple, d’anciens modèles d’iPhone sont devenus inutilisables parce qu’ils sont incompatibles avec les nouvelles mises à jour logicielles.

Enfin, il y a l’obsolescence fonctionnelle, celle qui fait en sorte qu’un défaut affectant l’objet, comme une pièce qui ne fonctionne plus, rende l’ensemble du produit inutilisable. Le coût de réparation, c’est-à-dire l’addition du prix de la pièce de remplacement, du coût de la main-d’oeuvre et des frais de transport, est supérieur au prix d’un appareil neuf vendu dans le commerce. Il est alors onéreux de chercher à réparer l’appareil défectueux.

Une équipe d’étudiants de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, supervisée par le chargé de cours Jonathan Mayer, a entrepris de rédiger un projet de loi pour régir les pratiques d’obsolescence des biens. Le souci d’utiliser correctement les ressources requiert assurément de mieux encadrer les pratiques des entreprises proposant des objets techniques complexes. Une loi sur l’obsolescence programmée devra forcément recenser plus clairement les pratiques répréhensibles, notamment au regard de leurs impacts environnementaux. Il s’agit d’établir un équilibre entre l’innovation, la protection des utilisateurs et l’usage rationnel des ressources. Un tel équilibre ne découle pas du seul fonctionnement du marché.

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