Scorsese glamour
Grande nouvelle pour les cinéphiles et les amateurs de cinéma américain que la toute récente parution aux éditions Nouveau Monde d’une biographie en français de Martin Scorsese ! Rappelons que le cinéaste reçut en 2015 les honneurs de la Cinémathèque française et le prestigieux prix Lumière après avoir été fait chevalier de la Légion d’honneur en 1999. La cinéphilie notoire du réalisateur américain le plus marquant de la deuxième moitié du XXe siècle se devine en filigrane dans toutes les pages du livre, à tout moment de sa carrière flamboyante.
La cinéphilie à la française, listes des meilleurs films à l’appui, est appréciée à sa juste valeur par le biographe Régis Dubois. Il faut dire que la passion de Scorsese pour le cinéma a toujours été contagieuse, à travers ses films et ses nombreuses interventions et entrevues. L’œuvre elle-même, comme le démontre bien le livre, déborde de références cinématographiques et littéraires. Depuis Orson Welles et John Cassavetes jusqu’à Sartre, Camus et Dostoïevski en passant par Le magicien d’Oz et 8 1/2. Toute ma vie, résume Scorsese, je n’ai fait qu’aller et venir entre Shadows (Cassavetes) et Citizen Kane (Welles).
En rendant hommage à la cinéphilie, Martin Scorsese. L’infiltré devient incontournable aussi bien pour les professionnels du cinéma que pour les amateurs. Signé par un critique spécialiste du cinéma américain, le livre a le mérite d’insérer la vie et l’œuvre de ce cinéaste phare du cinéma contemporain dans un contexte à la fois local et global, au croisement de l’histoire de l’immigration italo-américaine et de celles des cinémas américain et européen.
Tourmente
Auteur notamment de Cinéma des Noirs américains entre intégration et contestation (2005) et de Hollywood, cinéma et idéologie (2008), Régis Dubois nous introduit de plein fouet dans le monde de Scorsese au moment où il fait un hématome cérébral à l’âge de 36 ans. Dès les premières pages du livre, il dresse le portrait d’un drogué, d'un bon à rien, d'un lâche en chute libre, bref d'un antihéros que l’on aurait sans doute admiré dans des classiques tels que Taxi Driver, Casino ou L’aviateur. «Marty», confirme Dubois, était tout sauf serein ; la cocaïne à laquelle il succomba lui permettait de calmer ses angoisses et de continuer de travailler sous pression. L’histoire de cette descente en enfer aurait pourtant un autre début, celui des années mafia et des années beatniks.
Né en 1942 à New York dans le quartier Little Italy, géré par la mafia sicilienne, Martin est un enfant asthmatique, frêle et solitaire. Très tôt, il fuit la violence quotidienne des rues en trouvant refuge dans ses deux sanctuaires : l’église et la salle de cinéma. À l’église, il se protège contre la misère et la menace constante de se faire « buter » par la bonne conduite et la chasteté. Au cinéma, il s’évade de la réalité sordide du quotidien en se rapprochant d’un père ténébreux et introverti avec lequel il partage la passion des films.
Dubois réussit la tâche difficile de mettre les films de Scorsese en perspective tout en assouvissant le voyeurisme du lecteur grâce à des incursions ponctuelles dans la vie privée de Marty : ses rapports familiaux difficiles, ses amours, son attachement à sa fille Francesca, ses amitiés professionnelles (De Palma, De Niro, DiCaprio), mais aussi ses peurs, ses faiblesses, sa nervosité et sa dépendance. Le tout contribuant à complexifier l’œuvre et à la voir sous un jour nouveau.
Une certaine perte d’innocence
Réalisateur précoce et persévérant, Marty reçoit à 21 ans le prix du Meilleur film étudiant décerné par le Syndicat des producteurs d’Amérique pour son court métrage It’s Not Just You, Murray !. Depuis, auteur et réalisateur d’une soixantaine de films, dont les plus marquants demeurent fidèles à la représentation des gangsters, son sujet de prédilection, et à celle du passé comme champ d’exploration, le glamour de Scorsese n’a d’égal aujourd’hui que celui d’Hitchcock ou de Tarantino.
Grâce à cette nouvelle biographie, le lecteur reconnaîtra la signature thématique et esthétique de Scorsese aussi bien dans les classiques analysés tels que Les rues chaudes (1973), Taxi Driver (1975), Casino (1995), Les gangs de New York (2002) et Agents troubles (2006) que dans les films historiques remarquables tels que La dernière tentation du Christ (1988), Le temps de l’innocence (1993) ou L’aviateur (2004). Sans oublier Le loup de Wall Street (2013), premier film de Scorsese tourné en numérique.
Avec le numérique, écrit Dubois, une certaine perte d’innocence du cinéma se fait regretter. Cependant, le spectateur-lecteur ne peut qu’admirer l’immense talent du cinéaste et sa capacité à renouveler son discours tout en restant fidèle à sa signature. Et ce, au cœur même du système hégémonique hollywoodien, que la machine Scorsese glamour parvient à apprivoiser de façon magistrale.
Une version précédente de cet article, qui affirmait erronément que Martin Scorsese avait gagné un Oscar du meilleur réalisateur pour Le loup de Wall Street, a été corrigée.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.