L’avocat de Harvey Weinstein
Le 28 février dernier, dans un article du Chronicle of Higher Education, Randall Kennedy relate la vendetta contre un professeur de la Faculté de droit de l’Université de Harvard. Un exemple extrême de ces revendications pour des « espaces sécuritaires » (safe spaces), une pathologie qui envahit de plus en plus les universités nord-américaines.
Ronald S. Sullivan Jr. est professeur de droit à l’Université de Harvard et doyen de la Winthrop House, l’une des 12 résidences du collège. Premier homme noir à occuper un tel poste, il dirige l’Institut de justice pénale et l’atelier de plaidoiries de Harvard. En 2008, il était conseiller dans l’équipe de campagne du sénateur Barack Obama en matière de justice pénale. Il a représenté la famille de Michael Brown, ce jeune Noir abattu par un policier en août 2014 à Ferguson (Missouri) alors qu’il n’était pas armé, dans le procès contre la ville de Ferguson. Ses travaux ont abouti à la libération de plus de 6000 personnes incarcérées à tort.
Voilà un avocat et universitaire au parcours exemplaire. Pas pour tout le monde. Depuis quelques semaines, plusieurs étudiants demandent que Sullivan soit démis de ses fonctions de doyen.
Défendre Harvey Weinstein
Ronald S. Sullivan Jr. n’est pas accusé d’actes répréhensibles. Son tort ? Il a accepté d’être l’avocat de Harvey Weinstein, ce producteur de cinéma déchu, accusé de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles. Aux yeux de certains défenseurs des droits des victimes, ce serait là une faute grave. Si grave que cela mettrait en péril leur droit à un espace sécuritaire au sein de l’Université.
Ce type de revendications pour des espaces sécuritaires repose souvent sur l’affirmation d’un sentiment d’« inconfort » que l’on tente de présenter comme un argument rationnel. Au nom de vagues impressions individuelles, on ne revendique rien de moins que la mise à l’écart des droits fondamentaux des autres. Une telle démarche doit être prise pour ce qu’elle est : une manifestation de caprices.
Bien sûr que les accusés de crimes sont rarement des personnages a priori sympathiques. Lors d’un procès où l’accusé doit répondre de gestes graves, plusieurs sont tentés de s’interroger sur la « moralité » de l’avocat qui défend l’accusé. L’un des plus anciens débats au sujet des différences entre le droit et la justice concerne les interrogations au sujet du rôle de l’avocat. Mais un procès ne sera équitable et crédible que si l’accusé est jugé uniquement en fonction des dispositions de la loi dans le cadre d’un procès juste et équitable. À cette fin, nos lois reconnaissent le droit des accusés d’être défendus par un avocat de leur choix.
Les normes déontologiques des avocats font une nette distinction entre l’opinion qu’un avocat peut avoir quant à la culpabilité de son client et ses devoirs de le défendre de manière rigoureuse et compétente. C’est là que se situe l’essence même de cette profession. On pourrait croire que cela est évident pour tous, surtout à ceux qui sont engagés dans des études de droit. Il faut se détromper.
Un éditorial du Harvard Crimson, l’un des médias étudiants de l’Université de Harvard, reproche à Sullivan de s’être placé dans une situation incongrue. Une position qui l’empêcherait de prétendre de manière crédible assurer la sécurité de chacun contre les violences sexuelles sur le campus puisqu’il agit comme avocat d’une personne accusée de tels crimes.
Imputer à l’avocat les fautes de son client
Défendre un accusé de crimes devant la justice n’est pas cautionner les gestes qu’il a commis. Ce n’est pas non plus les excuser. Le rôle de l’avocat est de faire valoir les arguments factuels et juridiques afin que l’accusé puisse être condamné uniquement si les exigences prévues par les lois sont respectées. Imputer à un avocat les fautes de son client relève du populisme le plus pathétique.
Bien sûr, tout n’est pas parfait, loin de là ! Il est indéniable que le droit d’être effectivement défendu devant la justice demeure trop souvent tributaire du poids du compte bancaire de l’accusé. Il y a beaucoup de travail à faire pour rendre le système de justice vraiment équitable pour tous les accusés, et surtout pour l’ensemble des victimes.
Mais le vrai combat à mener pour assurer la protection des droits des victimes d’agressions sexuelles est celui de promouvoir le développement de processus judiciaires qui protègent effectivement les victimes et favorisent les dénonciations des actes répréhensibles.
Lancer des anathèmes contre ceux dont le seul tort est de défendre des accusés qu’on trouve infréquentables ne fait qu’affaiblir le processus judiciaire. C’est surtout faire bon marché du principe du procès équitable, qui inclut le droit de tout accusé à une défense pleine et entière dans le respect des lois. De la part d’étudiants d’une faculté de droit, c’est une posture qui étonne.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.