Quand Stevie Wonder débarque à Drummondville

Lorsqu’il est question d’entreprises technologiques québécoises, on pense spontanément aux championnes internationales, les CGI, CAE et autres qui font rayonner le génie d’ici. Mais il faut aussi regarder du côté des plus petites, qui se font souvent valoir dans des niches spécifiques, et pour lesquelles l’innovation constante est une absolue nécessité.

Le tout dernier sommet de l’Association québécoise des technologies, tenu à Tremblant la semaine dernière, était éloquent à cet égard.

On comptait environ 160 présidents et présidentes de PME spécialisées en technologies de l’information et des communications à cette 19e édition de l’événement baptisé « Vision p.-d.g. ».

On y a abondamment parlé des enjeux de recrutement, toujours problématique, des meilleures pratiques à adopter, mais aussi du potentiel d’expansion hors Québec. Quand vous êtes en mesure de vous frotter aux meilleurs de par le monde, il faut précisément déborder des frontières, puisque le marché québécois demeure forcément limité. Il s’agit là du volet le plus inspirant.

Des inspirations ? En voici quelques-unes, illustrant des PME qui s’imposent dans des créneaux originaux.

Humanware, basée à Drummondville, récolte aujourd’hui 93 % de son chiffre d’affaires hors Canada. L’entreprise qui compte 180 employés se spécialise dans les appareils pour personnes frappées de déficience visuelle, voire qui sont aveugles. Et elle n’a cessé de se déployer à travers le monde et touche maintenant l’Inde, la Chine, l’Afrique…

Il faut dire qu’elle peut miser sur des clients ultraconnus pour asseoir sa renommée.

En juillet 2013, Humanware fêtait son 25e anniversaire, et ses installations de Drummondville ont reçu une célébrité, et non la moindre : Stevie Wonder est venu en personne remercier les employés qui lui ont permis d’utiliser les nouveaux appareils informatiques aujourd’hui courants en musique. Il peut maintenant « voir » les écrans grâce à une interface en braille conçue par Humanware.

D’autres artistes ont profité de ces percées technologiques, comme Ray Charles, à l’époque, Andrea Bocelli aujourd’hui, sans compter les milliers de gens dont la vie est aujourd’hui plus facile grâce à ces innovations mises au point ici.

Sans même le savoir, les usagers du transport en commun aux quatre coins de la terre sont également redevables à une PME québécoise. Giro est en effet devenue une référence internationale en matière de planification des horaires pour les réseaux de transport collectif, autobus, tramways, trains, et même jusqu’aux bateaux !

Il s’agit de l’un des pires casse-tête pour les gestionnaires de ces systèmes : comment composer avec toutes les contingences pour offrir le meilleur service aux usagers.

Arrive Giro, avec ses algorithmes puissants qui intègrent une foule de variables pour rendre les dessertes aussi efficaces qu’économiques. Les horaires sont ajustés en temps réel, à Montréal, Singapour, Paris, Oslo et ailleurs… L’entreprise montréalaise mise sur plus de 500 employés qui parlent une quinzaine de langues pour répondre aux besoins des clients.

« Contrairement à d’autres qui ont dû se faire connaître à l’étranger, précise son président, Jean Aubin, pour nous, l’herbe n’était pas plus verte dans le pré des voisins : notre premier contrat nous est venu de la STM, qui nous a fait confiance. » Aujourd’hui, Giro tire 80 % de ses revenus à l’extérieur du pays.

Avec 40 employés, Irosoft est plus une petite qu’une moyenne entreprise, mais qui, au Québec, peut se vanter de faire des affaires — légitimes — aux Bahamas ? C’est le cas de cette firme de Montréal qui s’est imposée dans une niche très spécifique : la gestion numérique de l’information dans le domaine juridique.

Les concurrents sont rares, mais imaginez la tonne de documents, lois et autres règlements à numériser pour en faciliter l’accès et la consultation…

Irosoft a d’abord fait ses classes au Québec, puis ailleurs au pays, « et c’est précisément le gouvernement du Canada qui nous a mis en contact avec celui des Bahamas », dit son président et cofondateur, Alain Lavoie, qui a aussi été président de Techno Montréal, la « grappe » des entreprises technologiques de la grande région montréalaise. Et à 30 %, le marché hors Canada d’Irosoft correspond exactement à celui de la moyenne des entreprises membres de l’AQT (Association québécoise des technologies).

Sim-Cognibox, une firme de Shawinigan, peut revendiquer une reconnaissance particulière : sa présidente, Chantal Trépanier, demeure la seule femme à avoir été nommée p.-d.g. de l’année par ses pairs de l’AQT, une distinction qui lui a été remise en 2015. Elle n’a pas usurpé le titre.

Son entreprise et ses 120 employés reçoivent des mandats de méga-entreprises, de type Agropur ou Alcoa, qui veulent s’assurer que les pratiques de leurs sous-traitants sont conformes aux normes en vigueur, qu’il s’agisse d’environnement, de santé et sécurité, de diversité. Pas question pour elles de prendre des risques avec des fournisseurs dont les manquements pourraient par ricochet leur nuire.

Le travail se fait à la fois en ligne et sur place. « Notre travail revient à qualifier les entreprises et à certifier les employés responsables », dit-elle, précisant que sa firme est aujourd’hui à l’oeuvre dans au mois 35 pays, jusqu’en Islande, avec des revenus internationaux qui dépassent 20 % de son chiffre d’affaires.

En dix-neuf ans, peut-on imaginer qu’elle aura été la seule « championne » de l’AQT ? Les choses devraient changer, puisqu’à cette dernière rencontre à Tremblant, les présidentes représentaient 16 % de l’auditoire, un taux qui augmente d’année en année. Et elles sont de plus en plus visibles et influentes. En techno, le boys’ club tire à sa fin…

À voir en vidéo