La CPI, pour quoi faire?

La Cour pénale internationale (CPI) a été fondée dans la capitale italienne à la toute fin du XXe siècle, dans la foulée des horribles guerres de Bosnie-Herzégovine, du Libéria et de la Sierra Leone. Le « Statut de Rome » de 1998 (120 pays signataires) s’inspirait des « tribunaux spéciaux » mis sur pied par l’ONU à la suite de ces guerres.

Indépendamment du succès relatif de ces tribunaux ad hoc, qui avaient quand même abouti à des condamnations comme celles du Bosno-Serbe Ratko Mladic ou du Libérien Charles Taylor, ce qui a suivi avec cette nouvelle cour permanente, ladite CPI, n’est pas brillant.

Vingt ans plus tard, le doute persiste sur l’efficacité d’un tel organe supranational permanent, voué à rendre vraiment justice dans les cas de répressions ou de crimes de guerre, et se substituant, si besoin est, aux tribunaux nationaux ou régionaux.

Dernier rebondissement : le spectaculaire acquittement, le 15 janvier, après un long procès, de l’ancien président de la Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo, arrêté en avril 2011 alors qu’il refusait de rendre le pouvoir, après avoir perdu les élections de novembre 2010 (même si ses partisans ont toujours prétendu qu’il avait gagné).

Ce refus d’un président barricadé chez lui, plus la mobilisation militaire du camp adverse, avaient entraîné une guerre de quatre mois qui a fait quelque 3000 morts. La France, disant agir au nom du droit international (puisque la majorité des États étrangers concernés, y compris africains, soutenaient son adversaire Alassane Ouattara), avait aidé — avec des avions — les insurgés à renverser Gbagbo et finalement, à aller le cueillir (en pyjama) dans sa demeure.

Également traîné à La Haye (siège de la CPI) avec Gbagbo, et acquitté : son « second », l’exécuteur de basses oeuvres Charles Blé Goudé. Notoirement absents au banc des accusés : des représentants de « l’autre camp », dans cette guerre où les responsabilités des atrocités sont largement partagées, selon Amnistie internationale et Human Rights Watch.

On pense notamment au « second » du président Ouattara, Guillaume Soro (aujourd’hui président de l’Assemblée nationale), qui a sans doute, au cours de ces mois terribles, fait couler autant de sang que son homologue Blé Goudé.

Mais il n’y a jamais eu de procès pour Soro… et encore moins pour Ouattara, un président de la République en exercice, reconnu par la communauté internationale !


 
 

Tout ça pour dire qu’aujourd’hui — et pas seulement dans l’affaire ivoirienne — la CPI est accusée de favoriser une « justice des vainqueurs ». Et ce, même si ledit travers vient d’être contrecarré par un jugement ultime a contrario qui annule tout, après un procès chaotique où, entre autres bizarreries, certains témoins « à charge »… se sont révélés, à la fin, être accablants pour l’autre camp !

C’est arrivé également dans les procédures contre d’autres accusés traînés en procès, comme le Congolais Jean-Pierre Bemba ou le président kényan Uhruhu Kenyatta, qui ont fini par avorter. Par ailleurs, des poursuites ont été entreprises — et sont toujours officiellement en vigueur — contre d’autres figures importantes, comme le président soudanais Omar El-Béchir, sur qui pèse en théorie, depuis 2009, un mandat d’arrêt international, resté lettre morte.

Ajoutons-y le fait que, depuis sa fondation, tous ceux que la CPI a mis en procès, sans exception, sont des Africains. Ce qui a fait dire à certains que la CPI administre une « justice de Blancs » contre les Noirs. Cela explique le ressac actuel en Afrique, où la majeure partie des États avaient adhéré avec espoir à la CPI, mais dont plusieurs pensent aujourd’hui à se retirer (comme le Burundi de Pierre Nkurunziza, lui-même objet d’une enquête).

Autre limitation énorme : le fait que, pour être justiciable, un État doit au préalable avoir ratifié le Statut de Rome, ce qui laisse à l’extérieur de l’organisation, et hors de son atteinte, de « petits » États comme… la Chine, la Russie, les États-Unis, l’Inde, l’Indonésie, la Turquie : une bagatelle, quoi ! Sans oublier Israël, qui n’a jamais rien voulu savoir de ce genre de chose. Ce qui permet d’ajouter aux accusations précitées celle de « justice des gros contre les petits ».

Pour la CPI : d’énormes questions existentielles… et un triste vingtième anniversaire.

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