Notre homme à Pékin
Si John McCallum avait été un vrai diplomate, au lieu d’être un ex-politicien nommé par Justin Trudeau comme ambassadeur du Canada en Chine, il n’aurait jamais osé se prononcer pour offrir à Meng Wanzhou des arguments dont elle pourrait se servir pour qu’une cour canadienne rejette la demande d’extradition que les États-Unis s’apprêtent à déposer à son endroit.
Un diplomate de carrière n’aurait jamais risqué sa crédibilité, ou fait preuve d’un si grand manque de professionnalisme, en déclarant que la chef financière du géant chinois de la haute technologie Huawei avait « de solides arguments à faire valoir devant un juge ». Les commentaires de M. McCallum ont eu l’effet de jeter le doute sur la légitimité de l’arrestation de Mme Meng le mois dernier par les autorités canadiennes en vertu d’une demande des États-Unis, qui la soupçonnent d’avoir violé des sanctions américaines contre l’Iran. Un pas de plus et M. McCallum se serait rangé derrière l’ambassadeur de la Chine au Canada, Lu Shaye, qui, la semaine dernière, avait qualifié l’arrestation de Mme Weng de « coup de poignard dans le dos ».
On ne saura probablement jamais si l’étrange sortie de M. McCallum, devant des journalistes des médias sino-canadiens, avait été planifiée en collaboration avec le bureau de M. Trudeau. Mais on sait que ce dernier cherche désespérément à dénouer une situation qui envenime les relations sino-canadiennes à son grand dam, lui qui avait promis de les améliorer. L’entourage de M. Trudeau aurait préféré que l’arrestation de Mme Meng n’eût jamais eu lieu. Bien sûr, le premier ministre et sa ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland insistent pour dire que le Canada est un pays de droit où les politiciens n’interviennent pas dans les affaires judiciaires. Mais l’arrestation de Mme Weng a mis le gouvernement libéral dans une position peu enviable, coincé entre deux superpuissances au moment où ces dernières se livrent une dangereuse guerre commerciale. Le Canada ne peut pas s’en sortir indemne.
L’ancienne ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, en poste jusqu’à la semaine dernière, avait déclaré ne pas avoir été impliquée dans la décision des autorités canadiennes d’arrêter Mme Meng le 1er décembre dernier à l’aéroport de Vancouver. « Mme Meng avait été arrêtée en vertu d’un mandat d’arrestation provisoire délivré par un juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a précisé Mme Wilson-Raybould dans une déclaration le 12 décembre. La décision de demander un mandat d’arrestation provisoire de la Cour est prise par des fonctionnaires du ministère de la Justice sans qu’il y ait d’ingérence ou d’orientation politique. »
Or, si jamais la Cour suprême de la Colombie-Britannique approuvait une demande d’extradition des États-Unis, ce serait au nouveau ministre de la Justice canadienne, David Lametti, de décider si l’extradition peut avoir lieu. « Le ministre doit prendre une décision en fonction de la reddition d’une personne fondée sur le libellé de la Loi sur l’extradition, explique le ministère de la Justice dans un résumé des procédures d’extradition. Cette décision ne peut être déléguée à un fonctionnaire. Sa discrétion est vaste, mais elle ne doit pas être appliquée arbitrairement. »
Le gouvernement Trudeau espère ne jamais avoir à prendre une telle décision. S’il refusait d’extrader Mme Meng, sous prétexte que les accusations américaines déposées contre elle sont politiquement motivées, comme le prétend la Chine, le Canada risquerait d’attiser la colère du gouvernement du président Donald Trump. Mais s’il donnait suite à un jugement de la Cour en faveur de l’extradition de Mme Meng, les relations sino-canadiennes tomberaient dans une impasse qui nuirait aux échanges pendant plusieurs années.
On comprend mieux, dans ce contexte, le désir de M. McCallum de calmer les esprits chinois en laissant entendre que le Canada n’est pas aussi convaincu que cela du bien-fondé des accusations américaines contre Mme Meng. Ce faisant, il s’inscrit bien sûr en porte à faux avec son propre gouvernement, qui maintient sa position de non-ingérence dans un dossier judiciaire. Mais les commentaires de M. McCallum pourraient l’aider à obtenir la libération de deux Canadiens détenus en Chine à la suite de l’arrestation de Mme Meng et, on l’espère, le retrait de la condamnation à mort récente d’un citoyen canadien en Chine dans une affaire de trafic de drogue. C’est pour cela que M. Trudeau ne donnera pas suite de sitôt aux demandes des critiques qui veulent qu’il congédie M. McCallum.
L’ironie du sort fait que seul M. Trump peut sortir le gouvernement Trudeau de la situation fâcheuse dans laquelle il se retrouve en ordonnant à son propre département de la Justice d’abandonner les accusations contre Mme Meng. Le président a déjà dit être prêt à le faire en échange d’une entente commerciale dans laquelle la Chine s’engagerait à respecter la propriété intellectuelle des entreprises américaines et à acheter plus de produits américains.
M. Trudeau lui en serait sans doute très reconnaissant.
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