L’homme des Russes
Le président américain est-il un agent russe ? Ce n’est pas de l’imagination folle d’un mauvais John Le Carré que vient l’hypothèse, mais des services de renseignement américains eux-mêmes qui, il y a 20 mois, ont ouvert une vraie enquête sur cette question.
Selon le New York Times de samedi, dans les jours de mai 2017 qui avaient suivi le congédiement de l’ancien chef du FBI James Comey par Donald Trump, les responsables de l’agence américaine étaient tellement affolés par les transgressions et les complaisances prorusses du chef de la Maison-Blanche qu’ils avaient ouvert une enquête pour savoir si cet homme travaillait sciemment pour la Russie, ou s’il était tombé à son insu sous l’influence de Moscou.
Il faut dire que les sympathies et le rapport extrêmement particulier qu’entretient Donald Trump — l’homme d’affaires, puis le candidat présidentiel, puis le président, depuis des années et jusqu’à ce jour — avec la filière moscovite, commencent à constituer aujourd’hui un épais dossier.
Et ce, même si le discret Robert Mueller, procureur spécial qui enquête « sur les possibles liens entre le gouvernement de la Russie et des individus liés à la campagne présidentielle de Donald Trump » (sic), n’a pas encore rendu public un rapport très attendu qui devrait sortir ce printemps, et qui sera sans doute accablant.
Les responsables du FBI étaient déjà aux aguets avant « l’enquête Mueller », durant la campagne de 2016, lorsque Donald Trump, à la tribune de la Convention républicaine, lançait de façon totalement éhontée : « Les Russes, vous êtes à l’écoute ? Si oui, allez-y, piratez S.V.P. les courriels de mes adversaires ! »
Une allusion directe aux fuites informatiques dans les communications de l’organisation démocrate, dont on sait aujourd’hui qu’elles étaient le fait du piratage des services secrets russes, relayé ensuite par l’organisation WikiLeaks de Julian Assange, dans le but évident de nuire à la campagne de Hillary Clinton.
Ce sont les événements de mai 2017 qui ont poussé le FBI à franchir le pas. En particulier, le licenciement de James Comey, puis le lien explicite, fait par M. Trump lui-même, entre ce congédiement et « l’enquête russe » qui venait de commencer. Suivit immédiatement l’extraordinaire visite au Bureau ovale de l’ambassadeur et du chef de la diplomatie russes… au cours de laquelle il leur avait confié que « la pression a heureusement baissé » grâce à ce congédiement !
Trump prend-il ses ordres de Moscou ? Sans doute la réalité n’est-elle pas aussi simple. Mais tout se passe comme si le président était « tenu » par ses interlocuteurs moscovites, comme si cette extraordinaire complaisance avait des mobiles cachés, inavouables.
Nul besoin de chercher Donald en flagrant délit au lit avec Vladimir — même si, dans ce registre, il existe sans doute un document compromettant, filmé dans une chambre d’hôtel. Trump étant ce qu’il est, il agit effrontément, à la vue de tous.
Encore tout récemment, il a annoncé — au mépris de l’avis de son secrétaire à la Défense et de ses conseillers — le retrait américain de Syrie, qui fera grandement l’affaire de Moscou (et d’Ankara). Ces jours-ci, les sénateurs républicains ont voté pour épargner à un oligarque russe, Oleg Deripaska, de lourdes sanctions, ranimant les soupçons sur les dettes et les intérêts cachés de la « filière Trump » en Russie.
Trump reprend souvent la propagande russe lorsqu’il parle des affaires internationales. La semaine dernière, il a laissé tomber, comme ça, que « les Russes ont eu raison d’entrer en Afghanistan » (en 1979).
Depuis quelques semaines, les inculpations de personnalités gratinées, à la fois proches de Trump et de la filière russe, se sont multipliées. Au moins huit individus déjà condamnés, des dizaines d’actes d’accusation et d’enquêtes, tant au niveau national qu’international. Et le rapport Mueller n’est pas encore arrivé !
Il est ironique de constater que, sans coup férir, la Russie a réussi, sous la présidence Trump, à infliger aux institutions américaines et au prestige américain… ce que des décennies d’hostilité soviétique avaient échoué à faire. Avec l’aide d’un Parti républicain qui, jusqu’à ces dernières années, se vantait de son attitude belliciste envers Moscou.
S’ils sont aux aguets, les fantômes de Staline, Khrouchtchev et Brejnev doivent aujourd’hui regarder Poutine avec admiration et envie.
François Brousseau est chroniqueur d’information internationale à ICI Radio-Canada.