Brexit: le sacrilège

Tony Blair n’est pas un imbécile. C’est même un observateur très avisé de la scène internationale. Dans une tribune publiée dans plusieurs médias européens, il affirmait récemment que « l’accord sur le Brexit ne tiendra pas ». À quelques mois de l’échéance du 29 mars, la première ministre Theresa May est en effet revenue de Bruxelles avec une entente qui a suscité de vifs débats, provoquant même la démission de plusieurs ministres partisans d’un « Brexit dur ».

La question qui fâche concerne les contrôles douaniers entre l’Irlande du Nord et l’Irlande du Sud, qui avaient été supprimés par les accords du Vendredi saint. Comme personne ne souhaite le retour de cette frontière, les négociateurs ont tenté de contourner le problème. L’accord introduit donc une nouvelle période de transition pendant laquelle l’Irlande du Nord devra continuer à se conformer aux réglementations européennes. Ce nouveau délai, dans l’attente d’une autre solution, a eu l’heur de faire trépigner les plus eurosceptiques, pour qui il est inadmissible que le Royaume-Uni reste dans le marché unique ne serait-ce que quelques mois de plus. Il est vrai que le Royaume-Uni compromet ainsi sa capacité de signer rapidement de nouvelles ententes commerciales bilatérales.

Mais cette crise politique a aussi ravivé le rêve des européistes les plus intransigeants : celui de tirer un trait sur la volonté démocratique pourtant clairement exprimée par une majorité de Britanniques de sortir de l’Union européenne. Tony Blair, qui ne propose rien de moins qu’un second référendum — et pourquoi pas un troisième ? —, est de ceux-là.

Mais le plus intéressant dans sa tribune est ailleurs. Conscient que les chances de Bruxelles de remporter une seconde consultation sont minces, il réclame que l’Union fasse « un pas en avançant une proposition au sujet de l’immigration, problème qui — soyons honnêtes — préoccupe tous les Européens ».

Tiens donc ! L’ancien premier ministre met enfin le doigt sur la cause fondamentale du Brexit, à savoir la volonté des Britanniques, confrontés à une Union toujours plus omniprésente, de récupérer le contrôle de leurs frontières. Cet aveu est terriblement révélateur quand on sait que Blair est celui qui avait refusé en 2004 d’actionner les manettes qui auraient permis de freiner, pour un temps du moins, l’immigration massive venue d’Europe de l’Est. Une immigration qui a profondément heurté les classes populaires britanniques. L’ancien premier ministre le reconnaît d’ailleurs.

Blair oublie pourtant que les maîtres actuels de l’Union, qui chérissent toujours le rêve absurde des « États-Unis d’Europe », ne céderont jamais sur cette question. Quitte à provoquer un véritable schisme avec un nombre croissant de pays, comme l’Italie, la Pologne, la Hongrie et peut-être même un jour l’Allemagne. Ce serait pour eux changer la nature de l’Union.


 
 

Il faut en effet savoir qu’à Bruxelles, le Brexit est doublement sacrilège. L’hérésie des Britanniques tient d’abord au fait qu’ils ont choisi de retrouver une souveraineté nationale que les sirènes européennes jugent dépassée et même folklorique. Ce faisant, ils ont ensuite assumé une décision totalement politique, quitte à en payer le prix. Et il y en aura un. Or, dans le paradis bruxellois de la mondialisation heureuse, on n’enfreint pas impunément le credo de l’époque selon lequel l’économie serait aujourd’hui le fin mot de la politique.

On accuse avec raison certains partisans du « Brexit dur » de couver le projet d’une société ultralibérale. À leur façon, ces « hard Brexiters » parlent pourtant le même langage que les technocrates de Bruxelles qui ont détruit sans états d’âme l’industrie française, exposé l’Italie au déferlement des migrants, foulé aux pieds la démocratie grecque et qui sermonnent la Pologne lorsqu’elle tente de protéger les plus démunis en haussant, par exemple, les allocations familiales. Bien avant d’être une communauté de destin et de civilisation, l’Europe, pour Bruxelles, n’est aujourd’hui qu’un marché.

Même l’ancien président Nicolas Sarkozy — qui avait imposé le traité de Lisbonne malgré le rejet de ses principales clauses par deux référendums — estime aujourd’hui que l’Union doit se refonder dans le respect des nations. Il croit de plus qu’une organisation débarrassée de cette obsession d’une « union toujours plus étroite », comme disent les traités, pourrait tendre la main aux Britanniques. C’est un peu ce qui pourrait se jouer aux prochaines élections européennes, qui opposeront les défenseurs du fiasco actuel aux partisans d’une Union européenne plus respectueuse des nations.

Contrairement à ce que croit Tony Blair, il se pourrait bien que l’accord conclu à Bruxelles trace sa voie entre les extrémistes du « Leave » et ceux du « Remain ». Comme Theresa May d’ailleurs, dont les plus radicaux des opposants n’ont toujours pas eu la peau. Cette femme, qui, sans avoir jamais été partisane du Brexit, possède une fibre démocratique suffisamment forte pour respecter le choix de ses concitoyens, étonne par sa ténacité.

Qui sait ? Il se pourrait même que l’idée de reporter l’échéance d’un retrait définitif du Royaume-Uni du marché unique ne soit pas un mauvais pari. Histoire de voir à quoi ressemblera l’Union européenne après les élections du mois de mai.

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