La haine en héritage
Ils ne seront sans doute que quelques centaines à atteindre la frontière américaine, plusieurs semaines après l’élection, comme au printemps dernier. Pourtant, le président américain a fait de la caravane des migrants la figure de proue de son destroyer électoral en lui associant les images d’un meurtrier sordide. Depuis une semaine, il multiplie les mensonges pour manoeuvrer un électorat dont la priorité n’est pourtant pas la sécurité à la frontière, mais bel et bien l’accessibilité des soins de santé.
Pour autant, emportés par la logorrhée de l’occupant du Bureau ovale, même si c’est pour vilipender le composite de faussetés du président, médias et internautes s’érigent, même à leur corps défendant, en mégaphone des républicains… ce qui pourrait finir par avoir un impact, mardi, dans le secret de l’isoloir.
L’immigration est un thème électoralement rentable — comme l’a froidement constaté le président. Le GOP ne s’y est pas trompé. Selon une analyse Reuters-Kantar Media-CMAG, en deux ans, sa stratégie électorale a de plus en plus recours à la sémantique antimigratoire, indépendamment du fait que les élus républicains sont en campagne ou pas.
Même dans des États où l’immigration est marginale, comme en Indiana, où la priorité demeure la protection de ceux qui ont des conditions médicales préexistantes, un tiers des publicités est consacré aux dangers liés aux migrants. Et alors que l’année avance, ces dernières deviennent virulentes, liant de plus en plus criminalité et immigration — ce qu’infirment les statistiques.
Une mise en scène
Ainsi, bien que les chiffres soient en déclin constant depuis le début du millénaire et bien que ce soit de plus en plus des enfants et des familles qui s’y présentent, la frontière est devenue un vaste théâtre politique, un laboratoire sécuritaire, une zone d’opérations militaires où la sémantique guerrière gagne du terrain…
Cette mise en scène n’est pas anodine.
D’abord parce qu’il y a derrière ce mouvement venu du Triangle du nord une réalité, celle d’États déliquescents où règne une violence endémique alimentée par les changements climatiques. Au point où la Banque mondiale prévoit un exode vers le nord de 10,6 millions de personnes d’ici 2050 : le problème qui n’en est pas un pourrait le devenir.
Le traiter de manière conséquente suppose de créer les conditions pour inciter les migrants à demeurer chez eux plutôt que de menacer les pays concernés de couper leur aide au développement (avec le programme Alliance for Prosperity) s’ils ne parviennent pas à retenir leurs habitants, comme le fait le président américain. Ce qui est contre-productif.
Ensuite, l’apparence de politisation de l’armée déployée dans ce contexte polarisant pourrait éroder la légitimité de l’institution militaire et accroître le désengagement des Américains… aux dépens de la démocratie. D’autant que des milices d’extrême droite et des groupes paramilitaires ont annoncé collectes de fonds et déploiements à la frontière — alimentant la visibilité de ces groupes dont les ramifications avec ceux qui se sont récemment rendus coupables d’exactions sont perceptibles.
Le fait que le président ait annoncé dans les jours suivant le massacre à la synagogue de Pittsburgh qu’il mettait fin au financement de la Countering Violent Extremism Grant, mise en place en 2016 pour contrer les groupes haineux, minore également la réalité du terrorisme intérieur.
L’objectif clair
Enfin, cette stratégie érode silencieusement l’économie américaine. Le coût du déploiement de 15 000 soldats pourrait s’élever à 100 millions de dollars, qu’il faudra ajouter au coût du prolongement du mur pour lequel les arpenteurs ont déjà amorcé le travail.
Dans le même temps, le président de la Réserve fédérale appréhende l’impact sur le taux de croissance de la contraction de la population active.
À juste titre : certaines entreprises de la zone frontalière, frappées par les raids des services d’immigration, envisagent de délocaliser leurs activités… au Mexique, faute de pouvoir trouver des ouvriers aux États-Unis, tandis que les récoltes de la Californie à la Caroline du Nord pourraient pourrir sur pied faute de main-d’oeuvre.
L’objectif clair derrière cette stratégie est que l’électorat lève les yeux de la balle et l’échappe. Mais que restera-t-il au lendemain de l’élection de cette sordide mise en scène ? Que restera-t-il des relents d’antisémitisme inscrits en filigrane du discours sur la caravane des migrants ? Des amalgames entre Soros et la mondialisation, entre les migrants et le terrorisme ? Quelle sera la légitimité du Congrès, quelle que soit l’issue de l’élection ? À quel point la peur va-t-elle alimenter le refus d’une alternance politique et le cycle de violence ?
Les élus qui entreront en poste dans la foulée de l’élection, quelle que soit leur allégeance, devront vivre avec cet héritage électoral. La Haine.