Les lois du quotidien

À l’instar de ses prédécesseurs, la nouvelle ministre de la Justice va vite constater que les lois et la justice ne sont pas des sujets qui font courir les foules. Dans la récente campagne électorale, il a été question de la nécessité de réduire les délais, de rénover les palais de justice, d’actualiser les seuils d’accès à l’aide juridique et de faire passer le système judiciaire à l’ère numérique. Voilà des mesures qui réduiraient le retard engendré par des décennies d’indifférence gouvernementale à l’égard du système judiciaire. Mais le problème est plus profond, il découle de l’incapacité d’assurer de manière proactive la tenue à jour des lois, surtout celles qui n’intéressent pas les lobbies. On s’est résigné à subir des lois obsolètes, même si cela contribue à l’encombrement des tribunaux.

Les lois régissent la vie de tout un chacun. Mais pour la plupart, les lois et la justice sont des enjeux diffus. Elles ne deviennent visibles qu’en situation de coups durs. Hors des situations extrêmes, il est rare que l’on soit directement confronté au caractère désuet des lois et de la justice.

La vie de tous les jours

 

Des lois régissent les conditions de travail, de même que les règles d’exploitation des entreprises. Certaines lois s’appliquent au quotidien, comme celles qui régissent les baux d’habitation ou les transactions entre consommateurs et commerçants. D’autres édictent les obligations associées à notre vie intime et familiale ou déterminent les conditions de nos interactions avec les autres. Ce sont les règles du droit commun, contenues pour la plupart dans le Code civil.

Le Code civil regroupe les règles régissant les rapports entre les particuliers et les entreprises, de même que les règles à appliquer lorsque aucune autre loi ne vient régir spécifiquement un champ d’activité. Le Code civil a beau avoir été révisé dans les années 1990, il y subsiste encore trop de règles formulées de manière à attiser les conflits.

Par exemple, même si on dispose désormais de technologies capables de délimiter avec précision les limites des propriétés, le Code civil permet à un voisin de mauvaise foi de prétendre que le seul fait qu’une clôture soit en décalage par rapport à la ligne qui délimite son terrain d’un immeuble voisin lui donne le droit de se prétendre propriétaire d’une portion du terrain de son voisin. Il peut traîner ses voisins devant les tribunaux en brandissant la règle archaïque de la prescription acquisitive héritée de la Rome antique ! Ce n’est là qu’un exemple de ces règles dépassées qui encouragent l’abus des tribunaux et gardent bien vivant le folklore des chicanes de clôture.

En dehors des situations de crise, le droit commun, celui qui régit la vie quotidienne ou les événements qui ne se produisent que rarement, ne génère pas d’intérêt assez marqué pour qu’on trouve opportun de faire les mises à niveau qui s’imposent. Habituellement, les démarches de modernisation des lois se déroulent de façon sectorielle, à la pièce habituellement pour répondre à des situations qui soulèvent la consternation.

Le retard des lois : une fatalité ?

Les mutations sociales et technologiques transforment le déroulement de la plupart de nos vies quotidiennes. Il faut cesser de prendre comme une fatalité le décalage entre les lois, leurs modes d’application et les contextes nouveaux.

Il faut doter le système de justice de capacités d’innover et d’être en phase avec les façons contemporaines d’agir. Cela passe par une capacité d’observation critique de l’application des lois qui régissent nos vies. Il faut trouver des approches innovatrices. C’est là toute l’importance d’une fonction de monitoring et d’analyse de l’application des lois indépendante des lobbies. C’est ce type de capacité qui a été considérablement affaiblie par les coupes successives dans les effectifs de la fonction publique et par le sous-financement de la recherche en sciences humaines.

Ailleurs, on s’est doté de moyens pour repérer les dysfonctionnements des lois. Par exemple, la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et l’Ontario se sont dotés d’organismes ayant mission d’observer, d’analyser et de proposer des réformes aux lois et au système de justice. En Angleterre, Écosse, Irlande et Nouvelle-Zélande, des commissions d’étude et de réforme du droit ont été établies. Aux États-Unis, l’American Law Institute produit des analyses de l’état du droit et met en avant des propositions de modernisation.

Au Québec, une loi adoptée en juin 1992 créait l’Institut québécois de réforme du droit. Depuis plus d’un quart de siècle, les gouvernements qui ont été en place n’ont pas jugé bon adopter le décret d’application qui aurait permis à l’institut de voir le jour. Alors, on attend… Voilà qui en dit long sur la nonchalance avec laquelle on aborde la question de la qualité des lois et de la justice… en dehors des crises !

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