Les revenus des fausses nouvelles
La transformation récente de La Presse en organisme sans but lucratif témoigne de l’état actuel des médias d’information dans la plupart des pays occidentaux. Les profits sont captés par les plateformes Internet, et les médias faisant profession de produire des informations validées deviennent des oeuvres de charité ! Il y a plus de profits à faire en faisant circuler des informations de pacotille qu’en investissant dans l’information validée, qui est pourtant un ingrédient crucial des processus démocratiques. Si sa production n’est pas viable, la démocratie en pâtit. Dans quelle mesure les politiques publiques devraient-elles rétablir les équilibres ?
De plus en plus d’internautes accèdent aux informations par le truchement des réseaux sociaux. Mais ces plateformes ne sont pas configurées comme les médias d’information. Elles sont structurées comme des environnements de « partage » de documents numériques pouvant provenir de partout. Dans un tel environnement, pratiquement n’importe qui peut lancer toutes sortes d’images ou de « nouvelles ». Plus elles attireront de clics ou de « j’aime », plus elles seront réputées « importantes » et plus elles pourront générer des revenus. En somme, les médias sociaux sont utilisés par les producteurs de fausses nouvelles pour faire exactement ce pour quoi ils ont été conçus : générer de l’attention. Si on prétend vouloir agir à l’égard des fausses nouvelles, c’est à ce niveau qu’il faut intervenir.
Selon le modèle classique des médias de masse qui s’est installé au XXe siècle, les revenus découlant de la publicité servaient à financer la collecte, la vérification et la diffusion d’informations généralement validées selon diverses méthodes journalistiques. L’information était publiée à l’issue de processus décisionnels valorisant en principe l’exactitude et la rigueur. La généralisation des plateformes sur Internet a changé la donne.
L’attention génère les revenus
Désormais, la publicité est ciblée en fonction de calculs algorithmiques. Les plateformes comme Facebook sont conçues de manière à permettre à ceux qui veulent y faire de la publicité de cibler leurs messages vers les usagers dont le profil de consommation d’images, de textes et de sons correspond aux types de « consommateurs » visés. Dans un tel modèle, il y a peu d’incitatifs économiques à privilégier la diffusion d’informations validées. Il n’y a plus de citoyens… seulement des consommateurs !
Ces processus fonctionnent au moyen de puissants algorithmes qui rendent possible la valorisation du temps passé par chaque internaute sur des pages. Cela s’appelle la valorisation de l’attention. Ce qui génère des revenus publicitaires est l’attention qu’un contenu obtient auprès des usagers. Ce n’est pas la qualité ni l’importance du sujet qui compte. C’est encore moins les conséquences que telle ou telle information pourrait avoir qui sont prises en compte pour décider de l’importance de la nouvelle. Ce qui est crucial est l’attention que tel segment d’information parvient à capter. À ce jeu-là, une information archifausse peut être considérée comme « importante » dès lors qu’elle génère l’attention de ceux qui ne demandent qu’à y croire !
De tout temps, il y a eu de fausses informations diffusées pour servir les intérêts des uns et des autres. Ce qui est inédit dans le phénomène actuel des fausses nouvelles, c’est qu’elles peuvent constituer d’importantes sources de revenus publicitaires pour les plateformes sur lesquelles elles se répandent. Ces revenus devraient au moins être réinvestis dans la production d’informations de qualité.
Un enjeu de politique publique
Pourra-t-on encore longtemps laisser sans obligation de responsabilisation ces processus algorithmiques qui décident de ce que l’on saura ou ne saura pas ? Faut-il laisser régir les espaces publics de délibération par des processus automatisés, fondés principalement sur des « décisions d’affaires », comme si cela n’avait rien à voir avec les impératifs démocratiques ? Est-il sain que les revenus publicitaires soient détournés du financement de l’information validée ? Ne devraient-ils pas être en partie recyclés dans les contenus ?
La circulation loyale de l’information est pourtant une condition de la qualité des processus démocratiques. La lutte contre les fausses nouvelles est donc un enjeu de politique publique. Dans un État de droit, il est essentiel de garantir la transparence et la viabilité des infrastructures essentielles aux délibérations démocratiques. Les processus par lesquels se répandent les informations dans ces univers où tout se diffuse de manière virale devraient être balisés de manière à garantir la disponibilité effective d’informations fiables.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.