Lutter contre les trolls

Le documentaire Troller les trolls, d’Hugo Latulippe et Pénélope McQuade, nous emmène dans l’univers de ceux qui répandent leurs propos blessants ou gratuits sur les plateformes Internet. On nous présente certains de ceux et celles qui usent des immenses possibilités du Web pour crier leur indignation ou leur mécontentement, mais aussi pour invectiver et blesser. Tout au long du parcours, on constate que le respect de la dignité des personnes n’est pas un réflexe inné.

Dans l’espace connecté, chacun peut disposer, sans trop de risques, d’une audience comparable à celle des médias traditionnels. C’est une avancée démocratique majeure. Mais les lieux virtuels de discussion sont souvent pollués de commentaires hors sujet ou d’insultes fondées sur l’apparence et l’identité des gens plutôt que sur leurs idées. Pour lutter contre cette pollution, il faut rendre plus risquées les activités des trolls. Il faut se tourner vers les normes qui balisent la faculté de dire et de crier.

Régulations par défaut

 

Les propos mesquins, misogynes, racistes, homophobes n’ont pas été inventés avec Internet. Mais le réseau est entièrement construit par la technique. Or, il se trouve que la technique réglemente : les choses se passent ainsi en raison de ce que permettent ou interdisent les configurations par défaut des sites ou des applications. La façon dont sont configurées les plateformes facilite pour tout un chacun la diffusion de ce qui lui vient à l’esprit. Cette réglementation par défaut procure à tous de grandes facultés de s’exprimer. Mais cela est accompagné de pollution.

Tout comme dans d’autres espaces constitués par la technologie, il faut gérer les risques engendrés par ce que la technologie permet. Cela procure des pistes d’actions afin de réduire la place prise par les trolls sur Internet. Par la facilité qu’elles procurent aux trolls, les configurations par défaut d’Internet engendrent des risques pour les autres. Alors, comment limiter les risques ainsi imposés aux personnes victimes des messages venimeux ?

Il y a bien sûr les réponses individuelles : se retirer du réseau. Cesser de prendre la parole puisque cela nous expose à subir le fiel de ceux qui ne supportent pas nos propos ou qui ne supportent pas qu’une personne soit ce qu’elle est. Mais alors, on ne gère pas les risques. On tente de fuir un environnement que l’on trouve trop risqué.

Habituellement, lorsque le niveau de risque d’une activité devient élevé, on s’attend à ce que les États interviennent. Dans le passé, on a vu les États mettre en place des règles afin de réduire les risques de cet autre environnement devenu dangereux notamment en raison de ce que la technologie rend possible : les routes et la circulation automobile. Les véhicules nous permettent d’aller partout et de rouler à folle vitesse. Mais on impose des limites à cette faculté d’exposer les autres à des risques démesurés.

La plupart des activités sur Internet ont des dimensions expressives. L’État qui intervient pour baliser la circulation de l’information sur Internet n’a pas le loisir d’agir n’importe comment. Mais baliser les risques associés aux activités expressives n’est pas hors de la portée des États. Tous le font à divers degrés depuis longtemps.

Sur Internet, les régulations étatiques doivent être conçues de manière à accroître les risques de ceux qui ont des activités polluantes sur le réseau. Mais il faut aussi éviter d’inhiber la prise de parole légitime. Parmi les approches prometteuses, il y a celles qui misent sur la synergie entre les régulations des États et les mesures mises en place par les grands acteurs du réseau, comme les réseaux sociaux et autres grandes plateformes.

Un exemple de régulations susceptibles d’accroître les risques des trolls est de mieux rendre visibles les conséquences de propos d’ores et déjà prohibés par les lois. Les propos exprimant des menaces à l’égard d’une personne, ceux qui engagent les autres à haïr les membres d’un groupe, les injures gratuites et la diffamation sont punissables en vertu des lois. Cela devrait être plus évident pour tous.

Politique numérique

 

Il faut aller plus loin et adapter les mécanismes d’application des lois à la vélocité du réseau. Dans certains pays, on a mis en place des dispositifs facilitant le signalement des messages haineux. En complétant ces outils de mécanismes afin d’accélérer l’identification des pollueurs de même que les processus judiciaires pour sanctionner les comportements illégaux, on accroît les risques des trolls.

Il faut aussi imaginer des régulations innovatrices afin d’encourager la prise de parole tout en rendant le propos illégal plus risqué. C’est de cela qu’on doit parler lorsqu’il est question de politiques numériques. Un ensemble de mesures augmentant les risques de ceux qui ne savent pas vivre en société numérique tout en favorisant les occasions pour tous de participer aux débats.

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