La crédibilité du juge

Les ratés du processus de nomination du juge Kavanaugh à la Cour suprême des États-Unis rappellent que la crédibilité des juges est un ingrédient essentiel d’un État de droit. L’Association du Barreau américain y a fait écho en demandant que la nomination soit reportée, le temps de faire la lumière sur les accusations dont est l’objet celui qui est pressenti pour devenir l’un des neuf juges du plus haut tribunal des États-Unis. L’Association américaine des libertés civiles a de son côté réclamé que sa candidature soit écartée.

Heureusement, pour l’heure, il semble bien qu’au Canada, on soit loin des dérapages qui marquent le processus américain de nomination des juges suprêmes. L’affaire de la destitution du juge québécois Richard Therrien, survenue dans les années 1990, illustre la rigueur des exigences quant au passé d’une personne pressentie pour devenir juge.

En 1971, Richard Therrien plaide coupable à une accusation d’avoir aidé des membres du Front de libération du Québec (FLQ), alors considérée comme une association illégale, dans l’intention d’empêcher leur arrestation. Il est condamné à une peine d’emprisonnement d’un an. Après avoir purgé sa peine, il fait de brillantes études en droit et, après vérification de ses antécédents, le Barreau du Québec l’inscrit au Tableau de l’Ordre en 1976. Pendant 20 ans, il pratique le droit avec compétence et dignité, gagnant le respect de ses collègues et des membres de la magistrature.

Il obtient un pardon en 1987. Il reçoit alors un document attestant de sa bonne conduite et du fait que la condamnation pardonnée ne devrait plus nuire à sa réputation. On lui indique que ce pardon annule sa condamnation et élimine toute déchéance que celle-ci entraîne en vertu de toute loi du Canada. Mais, comme nous le verrons, cela ne suffit pas lorsqu’on est pressenti comme juge.

Entre 1989 et 1996, Me Therrien soumet sa candidature à plusieurs concours pour l’obtention d’un poste de juge. Lors des premières tentatives, il fait état de sa condamnation et mentionne qu’il a bénéficié d’un pardon. Lors d’un dernier concours, il ne révèle pas ses antécédents ni l’existence d’un pardon. Il témoigne s’être senti justifié d’agir de la sorte puisque le pardon obtenu a annulé sa condamnation. De plus, une telle réponse lui permettait d’être jugé sur ses qualités et mérites personnels tout en étant, par ailleurs, convaincu que le ministre de la Justice serait informé de ses antécédents. Il est malgré tout destitué au motif qu’il n’a pas déclaré ses antécédents criminels.

Appelée à trancher en dernière instance, la Cour suprême a confirmé la destitution du juge Therrien. Elle a estimé qu’il aurait dû déclarer sa condamnation passée, même pardonnée. La Cour invoque le caractère unique de la fonction judiciaire. Elle explique que « notre société confie d’importants pouvoirs et responsabilités aux membres de sa magistrature. Mis à part son rôle traditionnel d’arbitre chargé de trancher les litiges et de départager les droits de chacune des parties, le juge est aussi responsable de protéger l’équilibre des compétences constitutionnelles entre les deux paliers de gouvernement, […] et il est un défenseur de premier plan des libertés individuelles et des droits de la personne et le gardien des valeurs qui y sont enchâssées ». Bref, le juge incarne l’autorité de la loi.

La principale leçon de l’affaire Therrien est que l’impératif de protection de la crédibilité du système judiciaire peut mener à écarter même un candidat de grande qualité qui a regretté ses fautes et à qui on a pardonné.

Quel contraste avec ce qui prévaut ces jours-ci aux États-Unis, où nous avons droit à l’affligeant spectacle d’un juge accusé de fautes graves qui choisit de répondre sur un ton polémique, oubliant son devoir de réserve. Le tableau est complété par des politiciens qui persistent à recommander sa nomination malgré les conséquences que cela va engendrer sur l’autorité des tribunaux.

L’autorité des tribunaux

La fonction judiciaire commande un degré très élevé de crédibilité. Lorsque la crédibilité des juges est mise à mal, c’est l’autorité des lois qui est affaiblie. Ceux et celles qui adoptent les lois ont le devoir de prendre grand soin de l’intégrité du processus judiciaire.

S’entêter à nommer une personne sur laquelle pèsent de si lourdes allégations relève presque du coup d’État. Il faut au minimum élucider les faits allégués contre le juge Kavanaugh. Sinon, il faut s’attendre à une dégringolade de la confiance envers la Cour suprême des États Unis. Traiter la nomination d’un juge à la plus haute cour d’un pays comme une affaire vilement partisane procède d’une pathétique incompréhension des rapports essentiels entre la démocratie, l’indépendance des tribunaux et l’État de droit.

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