On veut (pas) que ça change: le procès du statu quo

Notre système politique favorise le statu quo. La démocratie semble offrir l’illusion du changement.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Notre système politique favorise le statu quo. La démocratie semble offrir l’illusion du changement.

Commençons par une citation : « Le libéralisme a fabriqué le monde moderne, mais le monde moderne se retourne contre lui. L’Europe et l’Amérique sont en proie à une rébellion populaire contre les élites du libéralisme, celles-ci étant considérées comme égoïstes et incapables ou réticentes à résoudre les problèmes des gens ordinaires. »

De qui est-elle ? 1 : Karl Marx ; 2 : L’économiste Thomas Piketty ; 3 : Manon Massé.

La citation amorce plutôt l’éditorial du plus récent The Economist, sur lequel Michel Nadeau, un ex de la Caisse de dépôt et directeur de l’Institut sur la gouvernance, a attiré mon attention cette semaine.

Pas exactement la feuille de chou d’un groupuscule marxiste, le magazine consacre un dossier complet au « renouveau » du libéralisme. Un autre mot pour sonner l’alerte, que ce « renouveau ».

Le mot « révolution » revient quelquefois dans cet édito où on perçoit entre les lignes de sérieux avertissements servis aux bien nantis qui détiennent les ficelles du pouvoir et pensent arriver à faire leur épicerie avec 75 $ par semaine. La grogne du peuple est palpable, leur annonce-t-on.

« Depuis les dernières décennies, les partisans du libéralisme sont devenus trop à l’aise avec le pouvoir. Avec comme résultat d’avoir perdu leur soif de réforme. Les élites du libéralisme se disent qu’ils dirigent une méritocratie en santé et qu’ils ont gagné leurs privilèges. La réalité n’est pas aussi tranchée. »

Le libéralisme, c’est la libre entreprise, la libre concurrence, les GAFA, les bébelles du Dollarama fabriquées en Chine et la pollution qu’on lui laisse en cadeau (et on s’étonne qu’elle ne veuillent plus reprendre nos emballages). Ce sont les profs syndiqués qui fournissent les collations, les crayons et le savon à même leur paye dans des édifices soviétiques, contre des salaires ajustés en deçà de l’inflation, et à qui on demande de fabriquer de l’espoir pour nos enfants-rois et/ou en difficultés d’apprentissage.

Et je n’ai même pas parlé de la santé, un sujet qui vous désespère. Vous êtes des tas à déverser votre détresse dans mon oreille faute de pouvoir le crier ailleurs. Vous êtes un « client » qui a toujours tort.

Vaut mieux être riche et en santé que pauvre et malade, rigolait l’humoriste Yvon Deschamps à la fin des années 1960. C’est encore plus vrai aujourd’hui. Les médecins, eux, tant généralistes que spécialistes, ont obtenu une hausse salariale de 72 % de 2009 à 2018. M. Couillard pourra payer son épicerie, sans aucun doute, s’il retourne à sa pratique médicale.

J’en ai à peine assez pour mes prochaines années

Quatre trente sous pour une piastre

Manon Massé, issue des milieux communautaires, est devenue l’incarnation d’un ras-le-bol légitime qui gronde partout sur les réseaux sociaux. Pas étonnant qu’on tente par tous les moyens de la discréditer. Il est certain que nos politiciens à cravate ne vont pas dérouler le tapis rouge à une militante féministe à la pilosité affichée sans brandir l’épouvantail du marxisme, même si je doute qu’ils aient lu Le capital au complet.

Le spécialiste des inégalités, l’économiste Thomas Piketty, a déjà dit que Marx a posé le bon diagnostic, mais nous a laissés avec les solutions à trouver. Les trouverons-nous dans le statu quo ou dans le changement proposé par la CAQ ?

Qui plus est, les plus pauvres n’iront peut-être pas voter, parce que ça ne « changera rien », parce qu’ils font déjà la queue à la banque alimentaire. 27 % des Québécois y ont recours, les mêmes (20 %) qui font effectivement leur épicerie avec 75 $ par semaine, selon le professeur à HEC Jacques Nantel. C’est é-nor-me dans une société dite « riche » qui camoufle bien le tabou social de la pauvreté.

Les pauvres ne votent qu’une fois. Les riches, eux, votent une seconde fois en passant un coup de fil au ministre, au député, en payant des lobbyistes, en se renvoyant l’ascenseur, en siégeant à des conseils d’administration, en fréquentant des clubs privés, en jouant au golf ou en allant à la pêche au saumon à Anticosti.

La culture politique de ces gros navires est profondé­ment ancrée dans le statu quo : peu importe leurs promesses électorales, tous ont accepté d’opérer à l’intérieur des limites du système. Souvent, ils ont eux-mêmes participé à l’ériger.

La paupérisation (l’appauvrissement progressif et continu de la population) est un danger pour l’équilibre social et c’est l’avertissement que sert The Economist à ses illustres abonnés.

« Pourquoi j’irais voter ? » m’a glissé Jonathan, un universitaire qui travaille au salaire minimum et n’est pas payé pour ses nombreuses heures supplémentaires (parfois six dans une journée) au sein d’un des fleurons de nos entreprises québécoises dont les employés ne sont pas syndiqués. « Ça ne va rien changer à ma vie, 22 400 $ ou 22 500 $ à la fin de l’année. Le progrès est trop puissant, trop attirant… pis on est trop niaiseux. » Le libéralisme économique résumé en quelques mots, puissant, attirant et niaiseux.

Les quatre facteurs de changement

 

L’être humain déteste le changement, moi la première. Dans les mots « changement climatique », c’est précisément le premier qui dérange. Dans une entrevue donnée à The Economist sur son essai The Great Leveller : Violence and the History of Inequality from the Stone Age to the Twenty-First Century, l’historien Walter Scheidel démontre que, depuis l’âge de pierre, les inégalités sociales n’ont été rectifiées que par une des quatre forces suivantes : les guerres, les révolutions, les chutes de régime et la peste. Il n’a pas parlé de Québec solidaire.

La crise climatique sera vraisemblablement notre peste moderne, assortie de guerres, de révolutions et d’effondrements économiques. Il est bon de savoir que le terme latin statu quo signifie « l’état des choses avant la guerre ».

Chose certaine, je suis à quia (comme dirait Jean-François Lisée) devant l’immobilisme généralisé et la pensée magique qui percole, traduite sous forme de « Il faut conserver l’espoir ». Et vous l’achetez où, cet espoir, déjà ? Il est en solde dans la section des lampions cette semaine ? Il ne faut pas s’étonner qu’on se réfugie dans la spiritualité plutôt que dans le giron de la science, si les conclusions de cette même communauté (très) alarmée ne sont jamais appliquées de façon concrète et possiblement contraignante.

À l’émission Midi info cette semaine, Manon Massé a affirmé que si elle devait voter pour un autre parti que le sien, son vote irait au Parti vert, un parti écosocialiste et fédéraliste. Comme quoi l’intérêt supérieur n’est peut-être plus celui qu’on pense. Nous n’aurons plus le choix d’être solidaires au-delà des bannières politiques. Ça commence quand, le changement ?

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

L’autopsie d’un rêve

Michael Moore persifle et signe avec son dernier documentaire Fahrenheit 11/9. Je lui pardonne ses errances amusantes, car il est capable de livrer un docu de deux heures chargé d’émotions. Au lendemain d’une défaite douloureuse pour les démocrates, il y a deux ans, il nous revient juste avant les élections de mi-mandat avec cette autopsie d’une Amérique dont le rêve n’est peut-être qu’un rêve, justement. Le « vrai monde » a droit de parole dans ce film, qui prend parfois les allures d’une enquête, parfois d’un procès. Mais, chose certaine, ni les politiciens (démocrates ou républicains), ni les médias, ni l’élite du copinage ne s’en sortent indemnes. Moore s’interroge sur la possibilité de perdre des acquis ou de ne jamais les retrouver. Le tiers des Américains de moins de 35 ans pense qu’il n’est pas essentiel de vivre dans une démocratie. Après avoir vu ce film, on est convaincu qu’il faut aller voter et que ça pourrait effectivement être pire.

Lu

Parler vrai de Manon Massé. Le livre traînait sur mon bureau depuis le mois de mai. On y présente la co-porte-parole de QS, qui a même intitulé un chapitre « Rire dans sa moustache. » Elle ne manque pas d’autodérision. Manon Massé raconte son parcours, tant intime que professionnel, ses études en théologie, son implication dans le milieu communautaire, sa rencontre avec Françoise David. Elle s’adresse à ceux qui désirent la connaître au-delà des clichés « lesbo-féministe-communiste » en bycik à gaz (dirait Duceppe). Oui, on aime son franc-parler et sa solidité dans les combats de coqs en torrieux. Il est curieux de constater que, dans les sondages, c’est à elle que les Québécois font le plus confiance, mais pas pour être à la tête de la province ou du « pays ». L’honnêteté a ses limites, j’imagine.

Rigolé

Devant l’ingéniosité des méthodes de Jean-François Noblet, activiste écologique, dans son Manuel d’éco-résistance. Ça frôle la douce illégalité parfois (il incite les tagueurs trop bien intégrés à viser les panneaux publicitaires et à cesser de respecter la société de consommation), et ça donne des idées drôlement astucieuses d’actions locales afin de décourager l’application de pesticides, les motos bruyantes, les courses de tout-terrain, la pollution nocturne, la publicité non sollicitée. Bref, un rien subversif et très imaginatif, tout en usant de méthodes de guérilleros non violents. Quand le pouvoir ne fait pas sa job, les punk-écolos s’en chargent.



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