Petite fin du monde aoûtée

Ils sont nombreux, ces idéalistes déçus, à « savoir » et à se sentir seuls parmi une foule d’indifférents. Il faut les comprendre, ces chantres verts, cela fait des années, voire des décennies, qu’ils s’époumonent en vain. Certains me confiaient même ceci : « Il ne faut pas dire aux gens que c’est foutu, sinon ils ne feront plus rien. » Et ils n’ont rien fait de toute façon. Non, c’est pas vrai. Les gens ne sont pas fous. Ils ont changé les pailles en plastique contre celles en inox. Je les ai essayées cet été. Du vrai progrès.
Dans l’angle mort de la vérité et de la poutre dans l’oeil, le désormais ex-ministre de la Transition écologique sous Macron, Nicolas Hulot, a divorcé du gouvernement devant une Léa Salamé « scotchée », sur France Inter mardi matin.
Pour une transition écologique, ce fut brutal, mais prévisible. Les purs ne courent pas les rues.
Pour une rare fois, nous observions un politicien se vider le coeur et interpeller le bon peuple en partageant son sentiment de solitude. Tu ne peux pas fomenter ta petite révolution dans ton coin, sans des appuis majeurs, et pas seulement politiques : « Je n’ai personne pour me défendre. Nous faisons des petits pas. Est-ce que les petits pas suffisent ? Non. Est-ce que nous avons commencé à réduire les GES ? La réponse est non. »
Je ne comprends pas que nous assistions globalement à la gestation d’une tragédie bien annoncée dans une forme d’indifférence. Y’a une telle urgence ! Ça fait 30 ans qu’on est patients.
Hulot n’est pas seul à être devenu éco-cynique ou éco-désespéré, à perdre la foi (ses mots), même si on lui reproche sa collection personnelle de moteurs à pistons. Je pense à Harvey Mead, ancien commissaire au développement durable — son dernier livre s’intitule Trop tard (besoin d’un dessin ?) —, au généticien David Suzuki, au biologiste Jean Lemire (lisez son Odyssée des illusions), à Jacques Languirand, l’ex-porte-parole du Jour de la Terre, au journaliste Hervé Kempf (Comment les riches détruisent la planète), un autre objecteur de « croissance ». Et je me demande où en est notre ami Al Gore après Une vérité qui dérange en 2006. Huit véhicules sur dix vendus au Canada en 2017 étaient des VUS et des camions légers.
À voile ou à vapeur
Déjà, en 1977, le philosophe Denis de Rougemont écrivait : « Je sens venir une série de catastrophes organisées par nos soins diligents quoique inconscients. Si elles sont assez grandes pour réveiller le monde, pas assez pour tout écraser, je les dirai pédagogiques, seules capables de surmonter notre inertie. »
Quarante ans plus tard, nous assistons à une trèèèèès lente prise de conscience des pays riches quant aux dommages infligés, et probablement irréversibles, à notre environnement. C’était le sujet de l’été. On a eu chaud, faut dire. J’ai même dû allumer la clim dans mon huitième étage d’immeuble surchauffé (3790 fois plus toxique que le CO₂, la molécule d’hydrofluocarbure) une nuit cette semaine. À mon corps défendant, c’était ça ou je sautais en bas. Une chance que je suis végé/vegan depuis huit ans et que je travaille de chez moi ; selon mes calculs, ça s’annule.
« La planète est en train de devenir une étuve. Nos ressources naturelles s’épuisent, la biodiversité fond comme neige au soleil […] et surtout, on s’évertue à vouloir entretenir, voire réanimer, un modèle économique marchand qui est la cause de tout », a dit Hulot, qui espère que son geste suscitera une profonde introspection de la société. Faudrait en glisser un mot à Doug Ford et à tous ses amis du Nouveau-Brunswick, de l’Alberta et de la Saskatchewan qui s’apprêtent à nous scraper la taxe sur le carbone. Même Québec solidaire ne l’a pas inscrite à son programme.
Je vous parle depuis bientôt dix ans (comme le temps passe) de mon économiste de mari, également l’un des 800 collaborateurs du Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat (GIEC) et enseignant en économie de l’environnement à l’université. Un des rares à faire passer la logique écologique avant celle des chiffres, mais à me prévenir que le changement de paradigme ne se produira pas.
Hulot n’y croit plus non plus. Et aucun économiste ne pourra vous assurer que l’écologie s’impose (ou s’imposera) avant la religion incontournable et inaliénable de l’économie de marché. Pas un. Ils sont en retard d’une révolution sur ce coup.
Et il faudra peut-être une révolution, effectivement, pour arriver à renverser la vapeur de l’étuve dans laquelle nous sommes appelés à cuire.
Mais on me traitera d’effondriste ou de collapsologue, des expressions prisées chez les « nouveaux optimistes » chaussés des lunettes roses afin de maintenir le statu quo. Le Club de Rome (l’ancêtre des COP) a publié en 1972 son rapport intitulé Halte à la croissance. Il donnait 60 ans (2030) au système économique mondial pour s’effondrer. On a traité ses membres de catastrophistes et de cassandres. Eux aussi. Mais Cassandre avait raison dans la mythologie.
Choc prétraumatique
Durant mes vacances, je lisais le Petit manuel de résistance contemporaine de Cyril Dion, réalisateur du très aimable et populaire documentaire Demain, et je constatais qu’il était passé en vitesse supérieure. On sent la prise de conscience lorsqu’il pose la question « Vivons-nous réellement en démocratie ? ».
De temps à autre, l’ampleur de la catastrophe nous saisit, puis le quotidien reprend son cours. Inexorablement. Car nous aimons ce monde matérialiste.
Sur mon fil Facebook, c’était carrément le choc prétraumatique. Entre les nombreux négationnistes (l’anthropocène est une théorie de Dollarama), les éco-anxieux qui ont déjà pris une option pour Mars, ceux qui cherchent des coupables (la faute aux croisières, aux burgers, à la clim), ceux qui nous accusent d’avoir quitté le buffet sans faire la vaisselle (les jeunes, avec raison), ceux qui changeront quand tout le monde le fera, ceux qui se disent : « Ils vont trouver une solution », ceux qui ne savent pas qu’il y a un problème et les politiciens dont le slogan est « Courage ! Fuyons ! », je n’ai pu m’empêcher de penser que nous sommes une espèce très douée pour le déni en jouant à Fortnite les deux mains sur la manette.
Nous sommes malheureusement passés du mode solution au mode adaptation, selon le GIEC. Deux éléphants dans la pièce : nous préférons l’apocalypse à la remise en question d’un système économique qui nous coule mondialement. Et nous évitons de nous poser la question de la surpopulation et des enfants à naître, la croissance démographique zéro évoquée timidement par certains experts. Ces futurs enfants feront forcément partie du problème et le subiront de toutes les façons imaginables. Nous aurons largement dépassé les huit milliards de « consommateurs » en 2030. J’espère que Fortnite les aura préparés. La bande-annonce s’annonce trépidante.
Ce sont des questions bien trop complexes et plombées pour une campagne électorale axée sur l’économie et la famille. Et je m’en voudrais de ne pas mentionner la Semaine du bacon qui commence au Dix30 demain… Ne ratez pas ça.
Dévoré Petit manuel de résistance contemporaine de Cyril Dion, qui a écrit et coréalisé le film Demain avec la comédienne Mélanie Laurent. Très bien documenté, l’auteur préconise toujours l’approche des petits pas même si le feu est pris dans la cuisine. Il nous explique la « fiction » dans laquelle nous vivons depuis l’ère post-industrielle et dont nous avons du mal à nous extirper collectivement. Il souligne que les villes pourraient se montrer plus rapides que les États dans cette révolution climatique à souhaiter.
Noah aura 25 ans en 2030
Lynne s’est vidé le coeur dimanche dernier sur Facebook, traduisant ce que bien des parents pensent. Son fils de 12 ans fait de l’éco-anxiété :« La Californie et la Colombie-Britannique brûlent.
La Grande barrière de corail se meurt.
Les fermiers australiens tuent leurs vaches laitières par manque de foin et d’eau.
Les États-Unis approuvent le forage en Alaska.
Le Canada construit un pipeline.
Fiston ne veut plus entendre parler d’environnement. Ça le stresse. Ma génération n’aura pas d'avenir, qu’il dit. On va devoir sauver l’environnement que vous avez détruit, qu’il dit. Et si on fail, la planète y passe, qu’il dit. Si ça continue, on va être la dernière génération, qu’il dit.
J'essaie le discours optimiste, mais il me regarde avec le même regard anti-bullshit qui suit les histoires de Père Noël ou de Bonhomme Sept Heures.
J'ai honte. Et je me sens impuissante et démunie. »