Sainteté pour la classe moyenne
Les croyants, selon l’Église, sont appelés à la sainteté. Jésus, dit le pape François, « veut que nous soyons saints et il n’attend pas de nous que nous nous contentions d’une existence médiocre, édulcorée, sans consistance ». L’invitation est noble, évidemment, mais elle a quelque chose d’écrasant. Comment, en effet, l’Église, qui incite à répétition ses fidèles à se reconnaître pécheurs, peut-elle du même souffle leur demander de viser l’idéal de sainteté ?
Saint patron des journalistes, le franciscain polonais Maximilien Kolbe (1894-1941) offre un modèle de sainteté. Or, la lecture de son parcours illustre avec force que suivre son exemple n’est pas à la portée du croyant lambda. Dans Maximilien Kolbe (Artège, 2018, 176 pages), la vigoureuse hagiographie qu’elle lui consacre, la journaliste française Alexia Vidot trace le portrait d’un homme animé par une foi radicale.
L’exemple du martyr
Élevé par des parents dévots, Kolbe, à dix ans, a une vision de la Madone, qui l’invite à demeurer pur, c’est-à-dire chaste, et à devenir martyr. À 16 ans, alors qu’il est déjà chez les franciscains, le jeune patriote est tenté par une carrière militaire, mais il décide d’embrasser la vie religieuse pour toujours en apprenant que son frère cadet vient de faire de même.
Adorateur de la mère du Christ, un culte populaire en Pologne, comme en témoignera plus tard Jean-Paul II, Kolbe consacrera sa vie à un journalisme catholique militant visant les conversions, principalement dans son pays, mais aussi en Chine et au Japon. « N’écrivez rien qui ne puisse être signé de la Vierge Marie », disait-il à ses collaborateurs.
En septembre 1939, le couvent de Varsovie où il mène ses activités est saccagé par les envahisseurs SS. Kolbe et plusieurs des frères sont arrêtés et emprisonnés dans un camp de travail, avant d’être libérés en décembre de la même année. Au couvent, ils accueillent des réfugiés, notamment juifs, qui fuient la répression nazie.
En février 1941, la Gestapo rapplique. Kolbe et ses camarades aboutissent à Auschwitz en mai. Un jour, un prisonnier s’évade. Les Allemands imposent des représailles : dix innocents sont condamnés à mourir d’inanition dans le bunker de la faim. Un des malheureux élus est un jeune père de famille. Kolbe, par charité, prendra sa place. Un rescapé du camp confiera, plus tard, que ce geste a réconforté les prisonniers en leur redonnant espoir en l’humanité.
Cette histoire vraie est, il faut en convenir, impressionnante. Mais comment, justement, être à la hauteur de ce héros ? S’il faut, pour aspirer à la sainteté, prendre exemple sur Kolbe, les candidats risquent de se faire rares. Qui, en effet, peut se targuer d’un tel sens du don de soi ?
Le critère de François
Le pape François le sait. C’est la raison pour laquelle, dans son exhortation apostolique Soyez dans la joie et l’allégresse (Médiaspaul, 2018, 128 pages), il précise qu’« il ne faut donc pas se décourager quand on contemple des modèles de sainteté qui semblent inaccessibles ». Ces derniers peuvent nous motiver, écrit-il, mais n’ont pas à être copiés. François invite plutôt les catholiques à une sainteté « de la porte d’à côté » ou à « la classe moyenne de la sainteté ».
Être saint, continue-t-il, « ne signifie pas avoir le regard figé dans une prétendue extase ». Le « grand critère », selon lui, est formulé dans un extrait du chapitre 25 de l’Évangile selon Matthieu, ce fameux passage que la solidaire Manon Massé, dans son récent Parler vrai (Écosociété, 2018), dit être à l’origine de son engagement social : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir. »
« La sainteté, écrit François, s’approche par de petits gestes », par de petits pas, en pratiquant la patience et la douceur envers autrui, en entretenant la joie et le sens de l’humour en tout temps, en faisant preuve d’audace et de ferveur dans la foi, en chérissant la vie communautaire, en demeurant ouvert à la transcendance par la prière et en cultivant « une saine et permanente insatisfaction » devant les injustices sociales afin de les combattre.
L’exigence morale, chez François, demeure, mais elle se fait un peu plus à hauteur d’homme et de femme. Être des saints ? C’est trop demander, il me semble. Devenir des justes et des doux serait déjà beaucoup.