Français, les champions du monde?
Ils sont évidemment français, les champions de la Coupe du monde de soccer. Barack Obama l’a dit : « Ces gars-là ne ressemblent pas tous à des Gaulois à mes yeux. Mais ce sont des Français. » Ces joueurs appartiennent à la nation française. Or, plusieurs ont insisté sur les origines africaines ou antillaises de la majorité des joueurs. Mais les deux ne sont pas incompatibles. On peut être français et d’origine étrangère à la fois.
Le Québec aurait été heureux qu’un Français d’origine québécoise fasse partie des Bleus. On aurait célébré ses origines sans complexe. Dimanche dernier, plusieurs des immigrants originaires de France qui ont célébré dans les rues du Plateau se disaient Québécois. Aucun problème.
Mais pourquoi cette évidence s’efface-t-elle lorsqu’il s’agit de proclamer l’ascendance africaine des joueurs français ?
En raison du rapport inégalitaire entre les pays en cause, lequel résulte du colonialisme. Ce rapport de force met en relief un cocktail d’interprétations, d’injustices et de revendications qui s’entrechoquent.
Le Français qui insiste sur son origine africaine se considère comme Français, en tout temps, sans aucune réserve. Il ajoute simplement que son héritage ajoute une dimension différente à la nation française.
Dans les vestiaires, les Bleus ont célébré plusieurs de leurs victoires au rythme de chansons africaines ou antillaises. Leur DJ était le défenseur Presnel Kimpembe, qui porte le prénom de son grand-père originaire d’Haïti. Sur les réseaux sociaux, avez-vous vu les vidéos où les joueurs dansent le « kompa », genre musical haïtien ? J’ai esquissé un sourire quand j’ai vu les gars vibrer au son d’Ayiti (Bang Bang) du groupe Carimi. Gros beat, comme on dit.
Chaque individu est libre de célébrer ses origines comme il le souhaite. C’est une question personnelle. Toutefois, un individu peut difficilement faire fi de ses origines, à moins d’ignorance, d’oubli ou de déni.
Tout en reconnaissant la nation à laquelle on appartient, il s’agit de permettre le métissage des cultures. N’est-il pas préférable de rejeter l’assimilation et d’embrasser l’interculturalisme ? Le joueur Paul Pogba l’a dit en conférence de presse : « Quand je vous regarde, je me dis qu’il y a beaucoup d’origines, ici. Ce qui fait de la France une belle France. De belles couleurs. […] La France d’aujourd’hui, c’est une France avec plein de couleurs. On se sent tous Français. »
Or, certains individus ont une interprétation de la nation qui se définit strictement par les caractéristiques propres au groupe majoritaire. Pour eux, un individu qui affirme ses origines se soustrait de facto de sa nation, alors qu’il peut plutôt vouloir la coconstruire. Et ils y voient une menace, partant d’une interprétation plus rigide de l’idée de la nation.
En conséquence, un Français qui incarne fièrement ses origines camerounaises suscite chez certains la fierté. La peur ou la haine chez d’autres. Et chacun peut interpréter différemment les questions d’identité selon le contexte. J’aime lorsque mes amis me parlent de leur expérience au restaurant Agrikol. Je ne veux pas qu’un extrémiste de droite me catégorise comme Haïtien.
Mais il y a pire.
Le colonialisme a établi à travers les années un rapport de domination qui a provoqué un lot d’injustices qui persistent aujourd’hui. La société voit les minorités lorsqu’il est question de brimer leurs droits fondamentaux, mais célèbre l’unité nationale lorsque quelques exceptions rapportent un bénéfice à la nation. Les minorités appartiennent donc à la nation à temps partiel et dans certaines conditions. Voilà une hypocrisie frustrante qui fait en sorte que souvent, les gens peinent à se reconnaître dans la nation telle que définie par la majorité.
Alors que durant la Coupe du monde le poste de télévision français TF1 affirmait que les Français sont « tous de la même couleur », la militante Sihame Assbague a répondu, avec raison, que ce n’est pas toujours le cas. « Sauf devant la police, devant la justice, lors des recherches d’emplois/logements, etc., etc. », dit-elle. C’est là que les idées de liberté, d’égalité et de fraternité se perdent dans les beaux discours.
Ce choc exacerbe le besoin d’affirmer ses origines afin de rappeler que celles-ci contribuent à la fierté nationale. Au terme de la Coupe du monde, plusieurs descendants africains ont voulu dire : c’est bien beau, la fête et l’unité, mais pouvons-nous avoir accès à cette unité tous les jours ? Pouvez-vous reconnaître enfin que c’est en misant sur notre talent que nous réussissons, comme nation ? Et si vous nous donniez réellement l’occasion de nous réaliser dans d’autres sphères que le sport, à quel point serions-nous puissants ?
Dire que « l’Afrique a gagné » revêt plusieurs sens. Pour moi, ça veut dire que des inégalités subsistent en France, et j’entends une demande pour que ces inégalités soient reconnues.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.