L’obsession des études

François Gendron ne s’est jamais gêné pour dire ce qu’il pensait, quitte à déplaire. Il n’est pas non plus le genre d’homme à se laisser prêter des propos qu’il n’a pas tenus ou à accepter qu’on en déforme le sens. Si le compte rendu de l’entrevue qu’il a accordée à La Presse canadienne trahissait sa pensée, comme l’a laissé entendre Jean-François Lisée, il l’aurait dit.

Il est loin d’être seul à être d’avis que le PQ « a des reproches à se faire » pour avoir pratiquement cessé de faire la promotion de la souveraineté depuis le référendum de 1995. C’est probablement ce que pense aussi une majorité de militants.

Il est vrai que la défaite du Oui avait été si serrée que plusieurs avaient cru la marche vers l’indépendance irréversible. Quelques années, voire quelques mois suffiraient. D’ailleurs, le camp du Non n’avait-il pas « volé » sa victoire ?

Dans l’esprit de Lucien Bouchard, la meilleure façon de convaincre ceux qui hésitaient encore n’était pas de multiplier les études, mais de dissiper leurs inquiétudes sur la viabilité d’un État indépendant en rééquilibrant les finances publiques.

L’élection de novembre 1998, où les libéraux ont obtenu plus de voix que le PQ, a eu l’effet d’une douche froide. Le chemin vers la souveraineté s’annonçait beaucoup plus long que prévu. À Ottawa, la contre-offensive était déjà lancée.

Loin d’inciter M. Bouchard à reprendre le bâton du pèlerin, son conseiller, Jean-François Lisée, recommandait plutôt d’emprunter une « sortie de secours », en tenant un référendum sur le rapatriement d’une série de pouvoirs.

M. Gendron s’étonne qu’aucun document « substantiel » pour faire la promotion de la souveraineté n’ait été produit depuis 1995, y voyant une des causes de la désaffection dont elle souffre. Ce ne sont pourtant pas les études qui ont manqué.

Au printemps 2001, le gouvernement Landry avait confié à l’ancien recteur de l’UQAM, Claude Corbo, le mandat d’actualiser au coût de 600 000 $ pas moins de 79 études réalisées dix ans plus tôt par la commission Bélanger-Campeau. Un an plus tard, le ministre responsable, Jean-Pierre Charbonneau, les avait déposées en vrac sans faire le moindre commentaire, avouant bien candidement ne pas en avoir lu une seule ligne. Elles ont aussitôt pris le chemin des tablettes.

Est-il besoin de rappeler l’étude de François Legault sur les « finances d’un Québec souverain », paru en mai 2005, que son auteur s’est efforcé d’oublier ? « Elle dissipe les vieilles peurs sur la précarité économique d’un Québec souverain et remet en question les arguments à propos de la soi-disant rentabilité du fédéralisme », écrivait-il à l’époque.

On se souvient moins du rapport du comité sur la souveraineté créé par Pauline Marois. Un ancien haut fonctionnaire aux Finances et aux Affaires intergouvernementales, Marcel Leblanc, en avait fait la présentation au Conseil national du PQ en novembre 2013. Chiffres à l’appui, il y soutenait que la situation économique et financière du Québec était bien meilleure qu’en 1995. On n’a plus jamais entendu parler de ce rapport.

Pierre Karl Péladeau a créé un Institut de recherche dont l’avenir semble aujourd’hui bien incertain. Jean-François Lisée promet qu’un gouvernement péquiste consacrerait 2 millions à la réalisation de nouvelles études sous la supervision de Jean-Martin Aussant.

Ce studieux travail de préparation perd cependant tout son sens s’il ne débouche pas sur l’action. Faute d’échéancier référendaire, la multiplication des études depuis 20 ans ressemble plutôt à un succédané destiné à calmer l’impatience des militants. À défaut de pouvoir réaliser l’indépendance, on la dissèque.

Les études ne font d’ailleurs pas foi de tout. Après avoir pris la direction de la campagne du Oui le 7 octobre 1995, Lucien Bouchard s’était empressé d’envoyer à la déchiqueteuse celles dont Jacques Parizeau avait confié la réalisation à son ministre de la Restructuration, Richard Le Hir. En trois semaines, le Oui avait rattrapé son retard.

M. Bouchard n’a pas essayé de convaincre les Québécois avec de savantes expertises sur le coût des chevauchements ou les règles du droit international sur la continuité de l’État. Il s’est adressé à leurs tripes, leur faisant sentir que la souveraineté était avant tout une question de coeur, de fierté, de responsabilité.

Bien sûr, la conjoncture de l’après-Meech était plus favorable qu’elle ne l’est aujourd’hui. MacLuhan nous a cependant enseigné que le message tient largement dans le messager. Pendant la période de grâce qui a suivi son combat contre la bactérie mangeuse de chair, M. Bouchard était véritablement en symbiose avec les Québécois. S’il avait été aux commandes dès le départ, le résultat du référendum aurait peut-être été différent.

On peut toujours accuser ses successeurs d’avoir procrastiné ou d’avoir succombé aux attraits du pouvoir, mais aucun d’entre eux n’avait suffisamment d’ascendant pour jouer les Moïse. « Sortir, parler, convaincre », a dit François Gendron. Encore faut-il qu’on ait envie d’écouter.

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