Au revoir

Ce texte marque la fin de ma chronique bimensuelle au Devoir. Je serai désormais chroniqueur invité. Je vous l’annonce la tête haute, mais avec tristesse. Avant de tirer ma révérence, je dirais comme Jay-Z : permettez-moi de me présenter à nouveau.

Ubuntu. Ce mot issu des langues bantoues du sud de l’Afrique désigne une philosophie qui honore notre interdépendance. Ubuntu est une reconnaissance que nous sommes tous unis dans notre humanité. C’est la pensée ubuntu qui a habité de grands leaders comme Nelson Mandela.

Sans me réclamer de l’héritage de Mandela, je suis fier d’avoir écrit avec coeur et respect, mais avec fermeté. C’est justement en raison de ma pleine appartenance à la famille québécoise que j’aime susciter des réflexions au sujet des inégalités que notre bêtise produit et a produites à travers l’histoire. Toutes les bonnes familles ont leurs zones d’ombre. Je nous crois capables de les observer et d’y répondre.

J’insiste plus particulièrement sur l’importance, comme solution pour un meilleur vivre-ensemble, d’embrasser la diversité. Je suis donc heureux de constater que ce mot soit sur toutes les lèvres. C’est d’ailleurs parce que Le Devoir avait rendez-vous avec la diversité que nos chemins se sont croisés en 2016.

Les deux dernières années ont mûri ma réflexion sur le sujet. « La richesse de la diversité réside dans la faculté des uns d’ouvrir le regard des autres sur des phénomènes qui se situent dans leur angle mort. » C’est ce que j’ai écrit dans ma première chronique. Et oui, ce fut un honneur pour moi de faire usage de ma tribune afin d’illustrer un petit peu de Saint-Michel au lecteur d’Outremont.

J’ajoute aujourd’hui que cette richesse est pleine d’embûches. La diversité est la genèse de tensions, d’incompréhensions et d’inconforts. Lorsque pleinement épousée comme valeur, la diversité représente un défi pour les individus et les organisations, qui doivent composer avec des réalités nouvelles.

Ceci est d’autant plus vrai pour le milieu médiatique, qui, à la différence des industries qui se gèrent entre quatre murs, apprivoise la diversité tout en la révélant au grand public. En conséquence, les chroniqueurs qui contribuent à la diversité en subissent parfois directement les contrecoups. D’abord, j’ai vite compris que ma légitimité comme chroniqueur elle-même est contestée par d’autres chroniqueurs.

Ensuite, mon identité engendre une responsabilité additionnelle. Le silence pèse lourd lorsque certaines communautés, déjà sous-représentées, sont en plus mal représentées. En entrevue à Radio-Canada la semaine passée, Denys Arcand a suggéré qu’en choisissant des comédiens noirs pour jouer des criminels dans son dernier film, il tendait « un miroir à la nature ».

Il m’appartient de briser le miroir de M. Arcand et d’ouvrir une fenêtre sur la réalité. D’expliquer, encore, que la criminalisation qui afflige les communautés noires n’est pas le fait de la nature, mais le résultat d’un ensemble d’injustices, dont les préjugés, alimentés par des commentaires comme ceux de M. Arcand.

Enfin, ma lutte contre le racisme s’est accompagnée d’inconvénients allant de commentaires insidieux d’internautes à la nécessité de défendre mon intégrité déontologique devant le Conseil de presse.

Dans son sens le plus profond, la diversité n’est pas folklorique. Tous ceux et celles qui souhaitent en relever le défi doivent le savoir.

Cela dit, je suis reconnaissant de ces deux années comme chroniqueur.

 

D’abord, aux lecteurs et lectrices qui estiment être peu représentés dans les médias ; je suis heureux d’avoir fait écho à votre voix à la lumière de mon humble vécu. Nous n’avons pas tous la chance d’écrire dans un journal à grand tirage, mais sachez que vous-mêmes avez déjà un mégaphone : l’Internet. Je vous invite à partager vos idées comme bon vous semble, tout en vous suggérant deux règles. Premièrement, appuyez les élans de votre indignation avec des argumentaires solides. Deuxièmement, évitez le mépris d’autrui. Même au nom des causes les plus nobles, le mépris est un instrument qui mine la dignité humaine. Audrey Lorde a dit qu’on ne détruit pas la maison du maître avec ses outils.

Aux politiciens, gens d’affaires et autres décideurs ; nombre d’entre vous m’ont manifesté votre intérêt envers ce que j’écris. « Je ne suis pas tout le temps d’accord avec toi, mais tu me fais réfléchir », ai-je souvent entendu avec grande satisfaction. Merci.

Enfin, plusieurs d’entre vous vont se réjouir de la fin de ma chronique bimensuelle. Grâce à vous, j’ai appris que mes opinions ne sont pas absolues. J’ai aussi appris à porter le rôle de chroniqueur avec plus de détachement. J’espère que mes chroniques furent la source d’au moins un apprentissage.

Le 44e président des États-Unis a dit « Obama Out », s’inspirant du Black Mamba. À l’occasion de ma 44e chronique, je vous dis plutôt na wè pi devan. À la revoyure, comme on dit par chez nous.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo