Nous, les jeunes
Pour les besoins de cette chronique, je vais me permettre de m’inclure parmi les « jeunes », étant né durant la période entre 1980 et 1985 qui définit les millénariaux. Mais bon, jeune, c’est relatif…
Le Directeur général des élections du Québec s’inquiète du faible taux de participation des jeunes aux élections. J’ai lu cette semaine que la communauté d’affaires entend mettre en place une campagne de promotion du vote auprès des jeunes afin d’augmenter notre participation électorale, le tout pour renforcer la démocratie. Je ne peux m’empêcher de sourciller.
Je suis favorable à une plus grande participation électorale, mais le véritable enjeu n’est pas là. Pourquoi nous inciter à voter si les options sont de notre point de vue peu désirables ? Le fardeau du changement de comportement appartient d’abord aux partis politiques.
« Les jeunes ne se retrouvent pas dans le discours des politiciens », disait un article paru jeudi dans Le Devoir. On ne devrait donc pas nous demander de nous intéresser à la politique partisane si la politique partisane fait peu pour s’intéresser à ce qui nous interpelle.
Désengagés, les jeunes ? Pas du tout. Le taux de participation citoyenne des jeunes est élevé et a même augmenté dans les dernières années. Selon Statistique Canada, entre 2003 et 2013, la proportion de jeunes âgés de 15 à 24 ans membres d’un groupe ou d’un organisme, ou participant à l’un d’eux, a augmenté de 64 % à 69 %. C’est le lien avec la politique partisane qui est rompu.
D’après son étymologie, la politique est ce qui concerne le citoyen. Selon cette définition, nous faisons tous et toutes déjà de la politique : par notre degré de conscience, par ce que nous exprimons, par le produit de notre travail, par nos choix de consommation. Il y a quelques jours, j’étais au Guatemala et j’ai rencontré Hannah, une future enseignante dans son pays, la Grande-Bretagne, déterminée à sensibiliser ses élèves quant à l’effet dévastateur du colonialisme. La posture d’un seul individu. Un effet multiplicateur.
Cela ne dédouane la classe politique de sa responsabilité de nous proposer un cadre favorisant le plein épanouissement des individus et de la collectivité qu’ils composent. Une fonction structurante de la politique partisane, je dirais, qui permet aux citoyens de participer à la co-construction de la société. « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais plutôt ce que vous pouvez faire pour votre pays », disait John F. Kennedy. Et Barack Obama n’a pas dit « Yes, I can », mais « Yes, we can ». Ils étaient là pour ça, les conférences régionales des élus et les forums jeunesse, qui ont été malmenés par notre présent gouvernement.
Or, le système électoral étant ce qu’il est, les partis politiques tentent maladroitement de concilier leur fonction structurante avec un clientélisme qui éloigne les jeunes de la politique, et ce, pour trois raisons. D’abord, l’électoralisme positionne le citoyen en simple consommateur passif. Un jeu qui nous répugne, les jeunes, parce qu’il limite notre pouvoir d’action. Les plus engagés d’entre nous veulent agir avec le gouvernement. Pas en être des clients à la carte.
Deuxièmement, l’électoralisme est d’autant plus inconciliable avec les jeunes qu’il cherche à séduire d’abord les gens ayant le plus grand poids électoral. Au Québec, en raison du poids démographique des générations qui nous précèdent, nous sommes dès lors exclus de l’équation.
Enfin, l’électoralisme favorise l’adoption, par nos politiciens, de comportements et de décisions qui tantôt manquent de vision, tantôt sont carrément incompatibles avec les responsabilités qui incombent à la classe politique.
Il y a quelques semaines, un électricien a apposé en toutes lettres sur son camion les propos suivants : « Moé j’suis blanc, j’suis Québécois… Pas contant [sic]… Décalissez. » L’artiste MissMe a peint sur le Plateau Mont-Royal une magnifique murale représentant des enfants orphelins originaires du Congo. Mercredi, cette murale a été vandalisée. On pouvait désormais y lire « Help Richard Spencer » et « JF Gariepy », en référence à deux leaders de la droite alternative. Les trois partis susceptibles de former un gouvernement au Québec ont favorisé l’émergence de ce climat pourri pour le vivre-ensemble. Difficile, dans ce contexte, d’avoir pleinement confiance en nos institutions.
« Condamné à l’excellence », disait Martin Matte. Les partis politiques sont affligés de cette peine. Ils doivent incarner la grandeur nous permettant de croire que, oui, ils oeuvrent à garantir notre droit à une vie digne. C’est ce qui a donné naissance à l’histoire d’amour entre les Américains et Bernie Sanders. C’est ce qui explique que, de tous les députés qui tirent leur révérence ces jours-ci, Amir Khadir sera le plus regretté, et de loin.
Nos partis sont capables de s’élever au-dessus de l’électoralisme. Les partis d’opposition l’ont d’ailleurs prouvé cette semaine en s’engageant conjointement à abolir le mode actuel de scrutin. En se changeant eux-mêmes, les partis se donnent une chance de nous intéresser, nous les jeunes. Toute autre attitude est vouée à l’échec.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.