Libertés en recul sur Internet
Les libertés perdent du terrain sur Internet. D’une part, la suppression des règles garantissant la neutralité d’Internet par l’autorité américaine de régulation des télécommunications est un exemple des politiques tendant à fragiliser la capacité des internautes de diffuser des contenus licites et d’y accéder. D’autre part, le mauvais calibrage des lois destinées à lutter contre le harcèlement et la désinformation contribue à vulnérabiliser plusieurs internautes et à les mettre à la merci des groupes haineux.
Dans son plus récent rapport, l’organisme Freedom House constate que les libertés des internautes ont subi d’importants reculs. Plusieurs gouvernements ont considérablement accru leurs efforts pour manipuler l’information, entre autres sur les réseaux sociaux. Pareillement, les carences dans les régulations ont facilité la tâche des groupes haineux, qui carburent au complotisme et aux appels à l’exclusion.
Manipulations et perte de confiance
Aux activités occultes de manipulation s’ajoute dans certains pays la multiplication des perturbations dans les accès à Internet sur mobile. On signale aussi un accroissement des attaques physiques et techniques contre les médias indépendants et les défenseurs des droits de la personne.
Bien sûr, ce n’est pas d’hier que les régimes autoritaires cherchent à contrôler le flux d’informations sur leurs territoires. Mais devant la difficulté d’appliquer des entraves arbitraires aux activités se déroulant sur Internet, certains gouvernements ont entrepris de générer des contenus pour modeler le paysage numérique en leur faveur. Par exemple, le rapport de la Freedom House rapporte que de plus en plus de gouvernements ont recours à des tactiques de manipulation qui se renforcent entre elles. Les régimes autoritaires se servent des mêmes outils que ceux utilisés par des activistes dissidents. Tout se passe comme si une portion des outils utilisés pour combattre les régimes autoritaires étaient de plus en plus détournés afin de servir les fins des autocrates.
Le recours à différentes techniques de manipulation engendrant la prolifération de fausses informations, de discours haineux et de harcèlement a affaibli la confiance que l’on porte aux réseaux sociaux. Il pourra se révéler difficile de restaurer la confiance dans un univers aussi fluctuant. Il est à craindre que les redressements réclamés de toute part apportent des reculs pour les libertés expressives.
Visions romantiques
Ces reculs de la liberté sur Internet montrent les limites de ces visions romantiques ayant souvent tenu lieu de réflexion à l’égard des enjeux et risques de la régulation des activités de production et de circulation de l’information dans l’espace virtuel. Les sociétés démocratiques ont besoin de renforcer leurs lois pour assurer que la transparence des propos tenus en ligne soit au moins équivalente à ce qu’on exige de la communication hors ligne.
Les plateformes désormais dominantes, comme Google ou Facebook, doivent revoir le fonctionnement de leurs algorithmes à l’origine du tri des informations, et être plus proactives en détectant les agents automatiques (Bots) et les faux comptes utilisés à des fins de manipulation.
Ces phénomènes témoignent des dynamiques par lesquelles s’effectuent les régulations dans l’environnement du réseau des réseaux. Ce n’est plus tant au moyen de lois interdisant certaines activités expressives que les États tentent d’imposer leurs « vérités » sur le Net. C’est de plus en plus en investissant le réseau lui-même, en mobilisant ses capacités considérables de dissémination de l’information qu’ils parviennent à mettre à risque ceux qui cherchent à s’informer et à informer leurs semblables.
Les forces démocratiques partout dans le monde doivent désormais regarder de plus près le fonctionnement effectif des environnements du réseau. Les configurations techniques qui y prévalent, les pratiques qui s’y développent, les capacités de manipulation que les environnements connectés mettent désormais à la disposition de tous, aussi bien pour le meilleur que pour le pire, doivent pouvoir faire l’objet de regards critiques.
Dans un environnement aussi imperméable aux frontières et aux velléités des différents acteurs d’imposer leurs règles du jeu, la régulation doit être envisagée autrement. Celle-ci se présente désormais comme un ensemble de risques imposés à tous ceux qui interagissent sur le réseau. Il est illusoire de s’imaginer combattre ces tendances en décrétant des règlements conçus selon les approches traditionnelles. Il faut plutôt promouvoir la pluralité des capacités autonomes d’imposer la transparence à tous ceux qui agissent dans le réseau. Plus que jamais, la garantie des débats démocratiques repose sur de réelles obligations de responsabilisation pour ceux qui parlent et ceux qui contribuent à véhiculer ou à encadrer le discours en ligne.