Différent comme toi
« Et nous voilà repartis pour un autre match préélectoral où des minorités qui n’ont rien demandé servent de ballon de football », a écrit la chroniqueuse Rima Elkouri le 5 avril dernier. Qu’est-ce que Frédéric Bérard pense de Bouchard-Taylor et du turban ? « J’en ai clairement marre », dit-il dans sa chronique intitulée « Vous m’énervez » publiée mercredi. Le même jour, ma collègue Francine Pelletier a affirmé que rien n’est plus pénible que de discuter du droit de se couvrir la tête au nom de Dieu. Je suis, moi aussi, écoeuré d’écrire sur le sujet, mais il s’agit d’un mal nécessaire parce que le populisme ne doit pas demeurer sans réponse.
Je suis d’accord avec Charles Taylor, version 2017 : contre l’interdiction du port de signes religieux dits ostentatoires, même pour les individus représentant l’autorité coercitive de l’État. Devons-nous vraiment empêcher un juge de porter un turban ? En quoi son turban le rendrait-il plus susceptible qu’un autre d’être partial ?
D’abord, constatons que la neutralité n’existe pas chez les humains. Des caractéristiques comme notre âge, notre sexe, notre éducation ou notre lieu de naissance, tout comme notre religion, influencent nos jugements. J’ai déjà écrit dans ces pages que ce qui importe, ce n’est pas de priver les agents de l’État de leurs traits apparents, mais de veiller à ce que les jugements, croyances et valeurs qu’ils intègrent n’entravent pas indûment l’exercice de leurs fonctions.
Des balises existent déjà pour tenter d’éviter les cas où l’absence de neutralité deviendrait réellement une entrave au travail des agents de l’État. Elles existent même pour éviter l’apparence que les agents de l’État exercent leurs fonctions de façon illégitime en raison de leurs a priori. Par exemple, la jurisprudence énonce une multitude de situations permettant la récusation d’un juge lorsqu’il existe à son égard une crainte raisonnable de partialité.
Malgré les balises existantes, les gens qui oeuvrent au nom de l’État demeurent vulnérables à leurs préjugés conscients ou inconscients, mais ceci se combat par une chose : la lutte contre la discrimination. Justement, la volonté d’interdire le port des signes religieux est d’abord motivée par la difficulté à coexister avec des personnes jugées différentes.
En mars 2017, selon un sondage CROP publié par Radio-Canada, 40 % des Canadiens estimaient qu’il y avait trop d’immigration et que cela était une menace pour la « pureté » du pays. Selon ce sondage, 32 % des Québécois étaient d’avis qu’il faudrait interdire « l’immigration musulmane ». 35 % des Québécois jugeaient qu’il faudrait interdire le port des vêtements reliés à la religion pour le grand public dans les lieux publics. L’enjeu dépasse largement la question de la laïcité de l’État. D’ailleurs, la crise des « accommodements raisonnables », qui a marqué dans l’histoire récente du Québec le débat sur le vivre-ensemble, a d’abord pris racine dans un incident qui concernait strictement la société civile.
En ce sens, l’interdiction du port de signes religieux n’est qu’une solution « Band-Aid » servant à satisfaire les gens qui souhaitent voir moins de signes religieux dans leur environnement. Est-ce qu’une telle interdiction contribue à favoriser le vivre-ensemble ? Non, parce que le problème qui nous gangrène est plus profond et est lié à la difficulté même à inclure la différence. Tantôt, c’est l’homosexuelle, tantôt le migrant haïtien. Demain, ce sera un autre individu. Parfois, le problème se manifeste par des commentaires méchants à l’école. Souvent, on observe des propos discriminatoires dans les réseaux sociaux. Exceptionnellement, on devient témoins de crimes haineux.
Ce phénomène requiert une solution durable. À une période où tous les partis politiques disent faire de l’éducation leur priorité, ils devraient nous expliquer en quoi, exactement, ils entendent favoriser l’éducation au vivre-ensemble. Plusieurs partis suggèrent que l’intégration en emploi est la meilleure façon d’assurer l’inclusion des gens dits issus de la diversité. Il s’agit là d’un volet, mais la solution est incomplète. Il est plutôt question ici de voir à ce que chacun évolue afin de reconnaître que tous les humains, même ceux qui nous semblent plus mystérieux, ont droit au plein épanouissement.
« Différent comme toi » est un magnifique slogan. Quel parti politique en est l’auteur ? Aucun. Il est plutôt l’expression utilisée par la Fondation Véro Louis pour mettre en avant l’unicité de tout un chacun. Chers politiciens en quête de popularité, portez le t-shirt de Véronique Cloutier.
Faut-il combattre l’extrémisme ? Bien sûr. Ce combat est nécessaire pour endiguer tant le Ku Klux Klan que le groupe État islamique. Et oui, le débat sur la laïcité est important, mais il est réglé : le Québec est déjà un État laïque parce qu’il s’est affranchi de l’ingérence de l’Église. Le réel enjeu aujourd’hui porte sur notre capacité à vivre dans une société où nous sommes tous et toutes ensemble dans la différence.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.