L’UPA nuit-elle à l’agriculture?
Ce n’est certainement pas ici qu’on lira une charge contre le syndicalisme et contre les agriculteurs, tous genres confondus. Je tiens le premier pour un des principaux responsables de l’amélioration de la qualité de vie des Québécois ordinaires depuis plus de cent ans. J’ai, pour les seconds, la plus grande estime. Les gens qui nous nourrissent méritent notre respect. Mon père, de plus, fils d’habitant, vouait un culte à l’agriculture et était abonné à La terre de chez nous, que je feuilletais pendant mon adolescence. Aussi, j’ai été élevé avec l’idée que l’Union des producteurs agricoles (UPA) était une institution indispensable et amie.
Roméo Bouchard pourrait en dire autant et bien plus. Homme de gauche, ancien prêtre recyclé en cultivateur, le militant défend le principe syndical et la vie paysanne depuis toujours. Or, il est inquiet. « J’ai 81 ans, écrit-il, et je constate avec tristesse que le modèle agricole des multinationales a fait main basse sur notre agriculture et notre alimentation, et que, pendant que l’UPA protège son monopole et que les politiciens préservent leurs sièges, nos fermes, nos terres, nos campagnes, nos savoir-faire disparaissent à toute allure. »
Voilà la raison pour laquelle Bouchard publie, ces jours-ci, L’UPA. Un monopole qui a fait son temps (VLB/La vie agricole, 2018), une vigoureuse charge contre les dangers d’une agriculture productiviste, en voie de s’imposer comme l’unique modèle en la matière.
Un sombre portrait
Les Québécois, constate le militant, connaissent mal le monde agricole. Pour la majorité d’entre eux, « la ferme, la campagne, la cabane à sucre sont […] une sorte de fantasme plus ou moins folklorique ». Les médias, quand ils daignent se pencher sur cet univers, mettent souvent en vedette les petits producteurs bio et les aliments du terroir, mais le portrait d’ensemble est moins réjouissant. « L’agriculture est devenue une industrie, la ferme est une usine, la nourriture est un produit du commerce comme un autre, et toutes trois sont désormais sous le contrôle absolu des grandes compagnies multinationales », souligne Bouchard.
Au Québec, poursuit l’essayiste, « 15 % des fermes fournissent à elles seules 75 % de la production agricole » et les autres fermes vivotent. Les produits biologiques et du terroir, dont on parle tant, ne constituent qu’environ 5 % de notre alimentation. Le gros de ce que nous mangeons provient donc d’une agriculture productiviste, « gigantesque, mécanisée, chimique, génétique, marchande », qui, ajoute Bouchard, est toxique pour nous et pour l’environnement. C’est ce type de production qui accapare l’aide étatique (au Québec, 2 milliards par année), alors que l’agriculture biologique ne reçoit, c’est le cas de le dire, que des pinottes.
Pour compléter ce sombre portrait, Bouchard précise que cette agriculture commerciale, tournée vers les marchés extérieurs, dessert l’objectif de l’autosuffisance alimentaire, qui est passée d’un taux de 80 % en 1985 à 33 % en 2013. La nouvelle Politique bio alimentaire présentée le 6 avril dernier par le gouvernement Couillard promet essentiellement de mieux financer ce même système.
Le modèle souhaité
Cofondateur de l’Union paysanne en 2001, Bouchard déplore donc le quasi-monopole de la grosse production et plaide, en s’appuyant sur le rapport Pronovost de 2008, pour une agriculture diversifiée. Il souhaite un modèle permettant la viabilité des petits producteurs et de l’approche biologique et de proximité, axé sur l’autosuffisance alimentaire ainsi que respectueux des milieux de vie et de l’environnement.
Il reconnaît que le modèle agricole défendu par l’UPA depuis 1972 — mise en marché collective, financement et zonage agricoles, monopole syndical — « a contribué considérablement au développement d’une agriculture moderne et au mieux-être des agriculteurs québécois en général », mais il affirme qu’il barre la route, aujourd’hui, à la nécessaire diversification de l’agriculture.
Quel type de ferme, quelles politiques agricoles, quelle politique d’occupation du territoire désirons-nous si nous voulons préserver la qualité de notre alimentation, la santé collective, les paysages, l’environnement et le peuplement de nos campagnes ?
Bouchard ne veut pas en finir avec l’UPA, mais il veut briser son monopole. Favorable à « une syndicalisation vigoureuse des agriculteurs », le militant en appelle donc à un pluralisme syndical, qui permettrait aux divers types d’agriculteurs — paysans écologiques, propriétaires de fermes familiales, gros entrepreneurs — d’être mieux représentés.
Le 28 mars 2018, sur le site de l’UPA, Marcel Groleau, président du syndicat, opposait une fin de non-recevoir à la proposition de Bouchard. Le modèle actuel fonctionne bien, écrivait-il, et l’union, sous la houlette de l’UPA, fait la force. Ce n’est pas très convaincant.
En 2003, mon père, sans résilier son abonnement à La terre de chez nous, s’est aussi abonné au journal de l’Union paysanne. Il savait que l’union, dans la diversité, ne doit pas être forcée pour faire la force.